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petits mémoires littéraires

« M. Picard avait apporté dans le commerce de la politique l’honnêteté que ses ancêtres avaient dans leur boutique. Possédant à merveille tout le solfège oratoire, il a redit, sans notes vibrantes, l’éternelle chanson d’opposition qui séduisit nos pères et séduira nos fils. »

Quelquefois, pour être juste, la chanson de M. Ernest Picard haussait le ton. Il vibrait alors. On l’entendit bien dans la séance du 19 mars 1861, lors de sa revendication d’un conseil municipal électif.

— Paris est aux Parisiens comme la France est aux Français ! s"écria-t-il ; quand nous rendrez-vous Paris ?

— Nous ne vous le rendrons jamais, répondit M. Billault.

— Nous le reprendrons, alors ! riposta Ernest Picard.

À ce moment, il eut quelque chose d’un Mirabeau de la rue des Bourdonnais.

Peut-être ne croyait-il pas être si bon prophète, ou du moins prophète à si courte échéance.

Les événements de 1870 arrivèrent, précipités comme l’ouragan. Ernest Picard se trouvait tout désigné pour le pouvoir.

On a apprécié diversement son rôle pendant ces jours néfastes. L’opinion presque générale est qu’il fut, comme plusieurs autres, au-dessous de sa tâche. Ce qui lui fit surtout défaut, ce fut la foi républicaine. Il agissait sans conviction. On ne fait pas de bonne besogne dans ces conditions-là.

À la dernière heure, il lâcha pied, laissant Paris se débrouiller comme il le pourrait, et il alla se réfugier à Versailles.

Pouvait-il agir autrement ? L’avenir répondra, et