Page:Monselet - Petits mémoires littéraires, 1885.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
petits mémoires littéraires

peut-être d’une façon sévère. L’avenir est exigeant, parce qu’il est désintéressé ; l’avenir rêve des héroïsmes souvent irréalisables ; il se complaît dans des attitudes de Romains mourant sur leurs chaises curules. Depuis longtemps on ne fabrique plus de ces chaises-là à Paris. Encore une industrie que les chemins de fer ont ruinée !

En résumé, le temps de la guerre fut un mauvais temps pour Ernest Picard. Le pauvre homme y perdit momentanément ses belles couleurs ; il y gagna des amertumes inconnues et des rancunes étranges contre les hommes généralement.

Le cataclysme passé, il se remit peu à peu de son ébranlement et redevint non pas tout à fait l’homme qu’il était autrefois, — la secousse avait été trop forte, — mais l’homme d’heureuse chance qu’il fut toujours. Il vécut à nouveau sur son ancienne opposition et en recueillit des récompenses inattendues. Après avoir été l’enfant terrible de l’empire, il fut l’enfant gâté de la république. Et cependant quelle grise mine ne lui faisait-il pas ! Cela alla un jour jusqu’à réclamer le rétablissement du cautionnement pour les journaux.

Que n’a-t-il pas été ? Ou n’a-t-il pas atteint ? La république a fait successivement d’Ernest Picard un ministre de l’intérieur, un ministre des finances, un ambassadeur, un sénateur. On est allé jusqu’à lui offrir le gouvernement de la Banque de France, — mais il a refusé.

Le bonheur l’a poursuivi jusqu’au seuil de la tombe, car il est mort le jour même du fameux 16 Mai. C’était ce qui s’appelle fausser la compagnie et décliner les responsabilités au moment le plus difficile