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petits mémoires littéraires

des hommes de lettres : Benjamin Antier, Pierre Dupont, Charles Vincent, Gustave Mathieu. Il prenait un intérêt très vif à leur conversation, car il aimait l’art sous toutes ses formes.

Une histoire très piquante le prouvera.

Un soir, le curé de Saintc-Élisabeth amena chez Béranger un jeune homme à la chevelure blonde et à l’aspect timide. Il le lui présenta comme l’organiste de son église.

C’était M. Bazille, aujourd’hui répétiteur du chant à l’Opéra-Comique. On voit que je nomme mes personnages.

— Qu’est-ce que je peux pour votre protégé ? demanda Béranger à M. Jousselin.

Béranger cherchait constamment à se rendre utile, et pour cela il allait au-devant des occasions.

— Ah ! ne m’en parlez pas, mon voisin, le malheureux est à demi perdu… Il ne rêve, depuis quelque temps, que chants profanes, ballets, couplets de tréteau… En un mot, mon organiste a été mordu par tous les chiens enragés du théâtre.

— Il en guérira, dit Déranger.

Le curé hocha la tête.

— En attendant, il court après un sujet d’opéra que les auteurs lui refusent avec une unanimité parfaite. Aucun d’eux ne veut s’exposer à travailler pour un inconnu, quelque mérite qu’ils lui trouvent.

— Je les reconnais bien là.

— Il a vu tour à tour M. Scribe, M. de Saint-Georges, je ne sais plus qui encore. Partout il a été éconduit.

— Ah ! si j’étais plus jeune, dit Béranger, comme je lui écrirais son opéra !

— Vous, mon cher voisin ?