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petits mémoires littéraires

— Cela m’est égal.

— Bilderbeck, de quel pays êtes-vous ?

— Du duché de Luxembourg.

— Qu’est-ce qu’on mange dans le duché de Luxembourg ?

— Du mouton aux prunes.

— Ils ne connaissent peut-être pas cela ici. Je vais tout simplement faire dire à Brébant de se charger de notre menu… Et qu’est-ce qu’on boit dans le duché du Luxembourg ?

— Du deidesheiner et du niersteiner.

— Nous le remplacerons aujourd’hui par de l’yquem.

— Oh ! monsieur Lespès, si j’avais su, je n’aurais pas accepté votre invitation…

Le dîner est fin. Chaque plat détermine chez le tailleur un soubresaut admiratif. Il perd insensiblement de sa gène ; ses yeux brillent, autant que peuvent briller des yeux d’Allemand. On s’est mis à table à sept heures et demie, il en est neuf lorsqu’on se décide à quitter le restaurant.

Auparavant, Léo Lespès a demandé l’addition. Il la dissimule du mieux qu’il peut aux regards de Bilderbeck, mais celui-ci le voit donner un billet de banque au garçon et l’entend prononcer ces paroles :

— Gardez le reste !

Le tailleur Bilderbeck porte la main à son cœur, comme s’il venait d’y recevoir un coup.

— Adieu, monsieur Lespès !

Ils sont sur le trottoir du boulevard.

— Comment, vous me lâchez, Bilderbeck ? Vous êtes encore un joli seigneur, vous !

— Monsieur Lespès, dit le tailleur de sa voix la plus