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petits mémoires littéraires

le dessinateur, lequel est M. Régamey, un artiste de talent, qui n’a, je le présume, aucun motif pour me livrer au ridicule (c’est bien assez des soldats) ou de faire planer sur moi un soupçon d’immoralité. Mais il est vraiment trop contraire à la vérité pour que j’accepte son dessin, si bien composé qu’il soit.

Je m’en vais lui raconter comment les choses se sont passées.

Ce n’est pas chez moi, dans ma chambre, que j’ai été l’objet d’une arrestation politique, mais dans une compagnie d’amis, une dizaine environ, tous gens estimables. Nous voilà loin du tête-à-tête avec une dame.

J’y dînais, c’est vrai. — Et à ce propos je ne peux m’empêcher de remarquer avec quelle fatalité l’élément gastronomique s’est toujours trouvé mêlé aux principaux événements de ma vie. Tout m’arrive à table. Il n’y a pas de mon fait autant qu’on pourrait le croire. Je suis né sous une étoile particulière.

Il m’est impossible de nier l’éloquence du jour de cette arrestation mémorable : c’était un dimanche gras. Paris était en fête ; des masques remplissaient et agitaient la ville. Seule, la police poursuivait ses sombres projets. — J’ai plaint souvent la police, et particulièrement ce jour-là, où il lui eût été si facile de prendre part à la gaieté générale et de se fondre dans le tourbillon du carnaval. Pauvre police !

Mais quoi ! des ordres supérieurs !

Il lui fallait obéir à des mandats lancés de la préfecture, à des consignes mystérieuses, se rattachant à un ensemble d’intimidation. Le dimanche gras semblait même merveilleusement choisi aux meneurs de cette razzia incohérente.

À dix heures donc on frappa brusquement à la porte du logis, où le dîner suivait son cours honnête et joyeux.