Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/133

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que, par ce que aucuns tiennent que cela trouble la cervelle tendre des enfans de les esveiller le matin en sursaut, et de les arracher du sommeil (auquel ils sont plongez beaucoup plus que nous ne sommes) tout à coup et par violence, il me faisoit esveiller par le son de quelque instrument ; et ne fus jamais sans homme qui m’en servit. Cet exemple suffira pour en juger le reste, et pour recommander aussi et la prudence et l’affection d’un si bon pere, auquel il ne se faut nullement prendre, s’il n’a recueilly aucuns fruits respondans à une si exquise culture. Deux choses en furent cause : le champ sterile et incommode ; car, quoy que j’eusse la santé ferme et entiere, et quant et quant un naturel doux et traitable, j’estois parmy cela si poisant, mol et endormi, qu’on ne me pouvoit arracher de l’oisiveté, non pas pour me faire jouer. Ce que je voyois, je le voyois bien, et soubs cette complexion lourde, nourrissois des imaginations hardies et des opinions au-dessus de mon aage. L’esprit, je l’avois lent, et qui n’alloit qu’autant qu’on le menoit ; l’apprehension, tardive ; l’invention, lasche ; et apres tout un incroiable defaut de memoire. De tout cela il n’est pas merveille s’il ne sceut rien tirer qui vaille. Secondement, comme ceux que presse un furieux desir de guerison se laissent aller à toute sorte de conseil, le bon homme, ayant extreme peur de faillir en chose qu’il avoit tant à cœur, se laissa en fin emporter à l’opinion commune, qui suit tousjours ceux qui vont devant, comme les grues, et se rengea à la coustume, n’ayant plus autour de luy ceux qui luy avoient donné ces premieres institutions, qu’il avoit aportées d’Italie ; et m’envoya, environ mes six ans, au college de Guienne, tres-florissant pour lors, et le meilleur de France. Et là, il n’est possible de rien adjouter au soing qu’il eut, et à me choisir des precepteurs de chambre suffisans, et à toutes les autres circonstances de ma nourriture, en laquelle