Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/207

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premeditation et discours. Il doit avoir prins congé de toute espece de travail, quelque visage qu’il porte ; et fuïr en general les passions qui empeschent la tranquillité du corps et de l’ame, et choisir la route qui est plus selon son humeur,

Unusquisque sua noverit ire via.

Au menage, à l’estude, à la chasse et tout autre exercice, il faut donner jusques aux derniers limites du plaisir, et garder de s’engager plus avant, où la peine commence à se mesler parmy. Il faut reserver d’embesoignement et d’occupation autant seulement qu’il en est besoing pour nous tenir en haleine, et pour nous garantir des incommoditez que tire apres soy l’autre extremité d’une lache oysiveté et assopie. Il y a des sciences steriles et épineuses, et la plus part forgées pour la presse : il les faut laisser à ceux qui sont au service du monde. Je n’ayme, pour moy, que des livres ou plaisans et faciles, qui me chatouillent, ou ceux qui me consolent et conseillent à regler ma vie et ma mort :

tacitum sylvas inter reptare salubres,
Curantem quidquid dignum sapiente bonoque est.

Les gens plus sages peuvent se forger un repos tout spirituel, ayant l’ame forte et vigoureuse. Moy qui l’ay commune, il faut que j’ayde à me soutenir par les commoditez corporelles ; et, l’aage m’ayant tantost desrobé celles qui estoyent plus à ma fantasie, j’instruis et aiguise mon appetit à celles qui restent plus sortables à cette autre saison. Il faut retenir à tout nos dents et nos griffes l’usage des plaisirs de la vie, que nos ans nous arrachent des poingts, les uns apres les autres :

carpamus dulcia ; nostrum est
Quod vivis : cinis et manes et fabula fies.

Or, quant à la fin que Pline et Cicero nous proposent, de la