Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/250

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prenoyent tous les jours avant le repas, et les prenoyent aussi ordinairement que nous faisons de l’eau à laver les mains, ils ne se lavoyent du commencement que les bras et les jambes ; mais dépuis, et d’une coustume qui a duré plusieurs siecles et en la plus part des nations du monde, ils se lavoyent tous nudz d’eau mixtionnée et parfumée, de maniere qu’ils emploioyent pour tesmoignage de grande simplicité de se laver d’eau simple. Les plus affetez et delicatz se parfumoyent tout le corps bien trois ou quatre fois par jour. Ils se faisoyent souvent pinceter tout le poil, comme les femmes Françoises ont pris en usage, depuis quelque temps, de faire leur front,

Quod pectus, quod crura tibi, quod brachia vellis,

quoy qu’ils eussent des oignemens propres à cela :

Psilotro nitet, aut arida latet oblita creta.

Ils aymoient à se coucher mollement, et alleguent, pour preuve de patience, de coucher sur le matelas. Ils mangeoyent couchez sur des lits, à peu prez en mesme assiete que les Turcs de nostre temps,

Inde thoro pater Aeneas sic orsus ab alto.

Et dit on du jeune Caton que, depuis la bataille de Pharsale, estant entré en deuil du mauvais estat des affaires publiques, il mangea tousjours assis, prenant un train de vie plus austere. Ils baisoyent les mains aux grands pour les honnorer et caresser ; et, entre les amis, ils s’entrebaisoyent en se saluant, comme font les Venitiens :

Gratatusque darem cum dulcibus oscula verbis.

Et touchoyent aux genoux pour requerir ou saluer un grand. Pasiclez le philosophe, frere de Crates, au lieu de porter la main au genou, la porta aux genitoires. Celuy à qui il s’addressoit l’ayant rudement repoussé : Comment, dict-il, cecy n’est il pas vostre aussi bien que les genoux ? Ils mangeoyent, comme nous, le fruict à l’yssue de table. Ils se torchoyent le cul (il faut laisser aux femmes cette vaine superstition des parolles) avec une esponge ; voylà pourquoy Spongia est un mot obscoene en Latin ; et estoit cette esponge attachée au bout d’un baston, comme tesmoigne l’histoire de