Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/88

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et aigries par le conflict, et si nous est demeurée dans le corps. Elle n’a sceu nous purger par sa foiblesse, et nous a cependant affoiblis, en maniere que nous ne la pouvons vuider non plus, et ne recevons de son operation que des douleurs longues et intestines.

Si est-ce que la fortune, reservant tousjours son authorité au-dessus de nos discours, nous presente aucunefois la necessité si urgente, qu’il est besoing que les loix luy facent quelque place. Et quand on resiste à l’accroissance d’une innovation qui vient par violence à s’introduire, de se tenir, en tout et par tout, en bride et en reigle, contre ceux qui ont la clef des champs, ausquels tout cela est loisible qui peut avancer leur dessein, qui n’ont ny loy ny ordre que de suyvre leur advantage, c’est une dangereuse obligation et inequalité : Aditum nocendi perfido praestat fides. D’autant que la discipline ordinaire d’un Estat qui est en sa santé, ne pourvoit pas à ces accidens extraordinaires : elle presuppose un corps qui se tient en ses principaux membres et offices, et un commun consentement à son observation et obeïssance. l’aller legitime est un aller froid, poisant et contraint, et n’est pas pour tenir bon à un aller licencieux et effrené. On sçait qu’il est encore reproché à ces deux grands personnages, Octavius et Caton, aux guerres civiles l’un de Sylla, l’autre de Cesar, d’avoir plustost laissé encourir toutes extremitez à leur patrie, que de la secourir aux despens de ses loix, et que de rien remuer. Car, à la verité, en ces dernieres necessitez où il n’y a plus que tenir, il seroit à l’avanture plus sagement fait de baisser la teste et prester un peu au coup que, s’ahurtant outre la possibilité à ne rien relascher, donner occasion à la violance de fouler tout aux pieds ; et vaudroit mieux faire vouloir aux loix ce qu’elles peuvent, puis qu’elles ne peuvent ce qu’elles veulent. Ainsi feit celuy qui ordonna qu’elles dormissent vint et quatre heures, et celuy qui remua pour cette fois un jour du calendrier, et cet autre qui du mois de Juin fit le second May. Les Lacedemoniens mesmes, tant religieux observateurs des ordonnances de leur païs, estans