Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/118

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que nous faisons aux oyseaux, aux chevaux, et aux chiens.

A quel soucy ne nous demettons nous pour leur commodité ? Il ne me semble point, que les plus abjects serviteurs façent volontiers pour leurs maistres, ce que les Princes s’honorent de faire pour ces bestes.

Diogenes voyant ses parents en peine de le rachetter de servitude : Ils sont fols, disoit-il, c’est celuy qui me traitte et nourrit, qui me sert ; et ceux qui entretiennent les bestes, se doivent dire plustost les servir, qu’en estre servis.

Et si elles ont cela de plus genereux, que jamais Lyon ne s’asservit à un autre Lyon, ny un cheval à un autre cheval par faute de cœur. Comme nous allons à la chasse des bestes, ainsi vont les Tigres et les Lyons à la chasse des hommes : et ont un pareil exercice les unes sur les autres : les chiens sur les lievres, les brochets sur les tanches, les arondeles sur les cigales, les esperviers sur les merles et sur les allouettes :

serpente ciconia pullos
Nutrit, et inventa per devia rura lacerta,
Et leporem aut capream famulæ Jovis, et generosæ
In saltu venantur aves.

Nous partons le fruict de nostre chasse avec noz chiens et oyseaux, comme la peine et l’industrie. Et au dessus d’Amphipolis en Thrace, les chasseurs et les faucons sauvages, partent justement le butin par moitié : comme le long des palus Mæotides, si le pescheur ne laisse aux loups de bonne foy, une part esgale de sa prise, ils vont incontinent deschirer ses rets.

Et comme nous avons une chasse, qui se conduit plus par subtilité, que par force, comme celle des colliers de noz lignes et de l’hameçon, il s’en void aussi de pareilles entre les bestes. Aristote dit, que la Seche jette de son col un boyau long comme une ligne, qu’elle estand au loing en le laschant, et le retire à soy quand elle veut : à mesure qu’elle apperçoit quelque petit poisson s’approcher, elle luy laisse mordre le bout de ce boyau, estant cachée dans le sable, ou dans la vase, et petit à petit le retire jusques à ce que ce petit poisson soit si prés d’elle, que d’un sault elle puisse l’attraper.

Quant à la force, il n’est animal au monde en butte de tant d’offences, que l’homme : il ne nous faut point une balaine, un elephant, et un crocodile, ny tels autres animaux, desquels un seul est capable de deffaire un