Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/145

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grandes oreilles sont les plus belles, et les estendent autant qu’ils peuvent par artifice. Et un homme d’aujourdhuy, dit avoir veu en une nation Orientale, ce soing de les agrandir, en tel credit, et de les charger de poisants joyaux, qu’à touts coups il passoit son bras vestu au travers d’un trou d’oreille. Il est ailleurs des nations, qui noircissent les dents avec grand soing, et ont à mespris de les voir blanches : ailleurs ils les teignent de couleur rouge. Non seulement en Basque les femmes se trouvent plus belles la teste rase : mais assez ailleurs : et qui plus est, en certaines contrées glaciales, comme dit Pline. Les Mexicanes content entre les beautez, la petitesse du front, et où elles se font le poil par tout le reste du corps, elles le nourrissent au front, et peuplent par art : et ont en si grande recommandation la grandeur des tetins, qu’elles affectent de pouvoir donner la mammelle à leurs enfans par dessus l’espaule. Nous formerions ainsi la laideur. Les Italiens la façonnent grosse et massive : les Espagnols vuidée et estrillée : et entre nous, l’un la fait blanche, l’autre brune : l’un molle et delicate, l’autre forte et vigoureuse : qui y demande de la mignardise, et de la douceur, qui de la fierté et majesté. Tout ainsi que la preferance en beauté, que Platon attribue à la figure spherique, les Epicuriens la donnent à la pyramidale plustost, ou carrée : et ne peuvent avaller un Dieu en forme de boule.

Mais quoy qu’il en soit, nature ne nous a non plus privilegiez en cela qu’au demeurant, sur ses loix communes. Et si nous nous jugeons bien, nous trouverons que s’il est quelques animaux moins favorisez en cela que nous, il y en a d’autres, et en grand nombre, qui le sont plus. A multis animalibus decore vincimur : voyre des terrestres nos compatriotes. Car quant aux marins, laissant la figure, qui ne peut tomber en proportion, tant elle est autre : en couleur, netteté, polissure, disposition, nous leur cedons assez : et non moins, en toutes qualitez, aux aërées. Et cette prerogative que les Poëtes font valoir de nostre stature droicte, regardant vers le ciel son origine,

Pronáque cum spectent animalia cætera terram,
Os homini sublime dedit, coelúmque videre
Jussit, et erectos ad sydera tollere vultus.

elle est vrayement poëtique : car il y a plusieurs bestioles, qui ont la veuë renversée tout à faict vers le ciel : et l’encoleure des chameaux, et des austruches, je la trouve encore plus relevée et droite que la nostre.

Quels animaux n’ont la face au haut, et ne l’ont devant, et ne regardent vis à vis, comme nous : et ne descouvrent en leur juste posture autant du ciel et de la terre que l’homme ?

Et quelles qualitez de nostre corporelle constitution en Platon et en Cicero ne peuvent servir à mille sortes de bestes ?

Celles qui nous retirent le plus, ce sont les plus laides, et les plus abjectes de toute la bande : car pour l’apparence exterieure et forme du visage, ce sont les magots :

Simia quam similis, turpissima bestia, nobis !

pour le dedans et parties vitales, c’est le pourceau. Certes quand