Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/159

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De la vertu, ou de mort approcher.

Et Crates disoit, que l’amour se guerissoit par la faim, sinon par le temps : et à qui ces deux moyens ne plairoyent, par la hart.

Celuy Sextius, duquel Seneque et Plutarque parlent avec si grande recommandation, s’estant jetté, toutes choses laissées, à l’estude de la philosophie, delibera de se precipiter en la mer, voyant le progrez de ses estudes trop tardif et trop long. Il couroit à la mort, au deffault de la science. Voicy les mots de la loy, sur ce subject : Si d’aventure il survient quelque grand inconvenient qui ne se puisse remedier, le port est prochain : et se peut-on sauver à nage, hors du corps, comme hors d’un esquif qui faict eau : car c’est la crainte de mourir, non pas le desir de vivre, qui tient le fol attaché au corps.

Comme la vie se rend par la simplicité plus plaisante, elle s’en rend aussi plus innocente et meilleure, comme je commençois tantost à dire. Les simples, dit S. Paul, et les ignorans, s’eslevent et se saisissent du ciel ; et nous, à tout nostre sçavoir, nous plongeons aux abismes infernaux. Je ne m’arreste ny à Valentian, ennemy declaré de la science et des lettres, ny à Licinius, tous deux Empereurs Romains, qui les nommoient le venin et la peste de tout estat politique : ny à Mahumet, qui (comme j’ay entendu) interdict la science à ses hommes : mais l’exemple de ce grand Lycurgus et son authorité doit certes avoir grand poix, et la reverence de cette divine police Lacedemonienne, si grande, si admirable, et si long temps fleurissante en vertu et en bon heur, sans aucune institution ny exercice de lettres. Ceux qui reviennent de ce monde nouveau qui a esté descouvert du temps de nos peres, par les Espagnols, nous peuvent tesmoigner combien ces nations, sans magistrat, et sans loy, vivent plus legitimement et plus reglément que les nostres, où il y a plus d’officiers et de loix, qu’il n’y a d’autres hommes, et qu’il n’y a d’actions.

Di cittatorie piene et di libelli,
D’esamine et di carte, di procure
Hanno le mani et il seno, et gran fastelli
Di chiose, di consigli et di letture,