Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/232

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Quod petis, id sanè est invisum acidumque duobus.

Nature devroit ainsi respondre à leurs contestations et à leurs debats. Les uns disent nostre bien estre loger en la vertu, d’autres en la volupté, d’autres au consentir à nature ; qui, en la science ; qui, à n’avoir point de douleur ; qui, à ne se laisser emporter aux apparences (et à cette fantasie semble retirer cet’autre, de l’antien Pythagoras,

Nil admirari prope res est una, Numaci,
Solaque quae possit facere et servare beatum,

qui est la fin de la secte Pyrrhonienne) ; Aristote attribue à magnanimité rien n’admirer. Et disoit Archesilas les soustenemens et l’estat droit et inflexible du jugement estre les biens, mais les consentements et applications estre les vices et les maux. Il est vray qu’en ce qu’il l’establissoit par axiome certain, il se départoit du Pyrronisme. Les Pyrrhoniens, quand ils disent que le souverain bien c’est l’Ataraxie, qui est l’immobilité du jugement, ils ne l’entendent pas dire d’une façon affirmative ; mais le mesme bransle de leur ame qui leur faict fuir les precipices et se mettre à couvert du serein, celuy là mesme leur presente cette fantasie et leur en faict refuser une autre. Combien je desire que, pendant que je vis, ou quelque autre, ou Justus Lipsius, le plus sçavant homme qui nous reste, d’un esprit tres-poly et judicieux, vrayement germain à mon Turnebus, eust et la volonté, et la santé, et assez de repos pour ramasser en un registre, selon leurs divisions et leurs classes, sincerement et curieusement, autant que nous y pouvons voir, les opinions de l’ancienne philosophie sur le subject de nostre estre et de noz meurs, leurs controverses, le credit et suitte des pars, l’application de la vie des autheurs et sectateurs à leurs preceptes és accidens memorables et exemplaires. Le bel ouvrage et utile que ce seroit’ Au demeurant, si c’est de nous que nous tirons le reglement de nos meurs, à quelle confusion nous rejettons nous ! Car ce que nostre raison nous y conseille