Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/234

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plus, qui moins : signe que c’est une marque aussi douteuse que le reste. Or, ils sont si defortunez (car comment puis je autrement nommer cela que deffortune, que d’un nombre de loix si infiny il ne s’en rencontre au moins une que la fortune et temerité du sort ait permis estre universellement receue par le consentement de toutes les nations ?) ils sont, dis-je, si miserables que de ces trois ou quatre loix choisies il n’en y a une seule qui ne soit contredite et desadvoee, non par une nation, mais par plusieurs. Or c’est la seule enseigne vraysemblable, par laquelle ils puissent argumenter aucunes loix naturelles, que l’université de l’approbation. Car ce que nature nous auroit veritablement ordonné, nous l’ensuivrions sans doubte d’un commun consentement. Et non seulement toute nation, mais tout homme particulier, ressentiroit la force et la violence que luy feroit celuy qui le voudroit pousser au contraire de cette loy. Qu’ils m’en montrent, pour voir, une de cette condition. Protagoras et Ariston ne donnoyent autre essence à la justice des loix que l’authorité et opinion du legislateur ; et que, cela mis à part, le bon et l’honneste perdoyent leurs qualitez et demeuroyent des noms vains de choses indifferentes. Thrasimacus en Platon estime qu’il n’y a point d’autre droit que la commodité du superieur. Il n’est chose en quoy le monde soit si divers qu’en coustumes et loix. Telle chose est icy abominable, qui apporte recommandation ailleurs, comme en Lacedemone la subtilité de desrober. Les mariages entre les proches sont capitalement defendus entre nous, ils sont ailleurs en honneur,

gentes esse feruntur
In quibus et nato genitrix, et nata parenti
Jungitur, et pietas geminato crescit amore.

Le meurtre des enfans, meurtre des peres, communication de femmes, trafique de voleries, licence à toutes sortes de