Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/272

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subject, mais je n’y suis guiere versé. Chrysippus et Diogenes ont esté les premiers autheurs et les plus fermes du mespris de la gloire ; et, entre toutes les voluptez, ils disoient qu’il n’y en avoit point de plus dangereuse ny plus à fuir que celle qui nous vient de l’approbation d’autruy. De vray, l’experience nous en faict sentir plusieurs trahisons bien dommageables. Il n’est chose qui empoisonne tant les Princes que la flatterie, ny rien par où les meschans gaignent plus aiséement credit autour d’eux ; ny maquerelage si propre et si ordinaire à corrompre la chasteté des femmes, que de les paistre et entretenir de leurs louanges. Le premier enchantement que les Sirenes employent à piper Ulisses, est de cette nature,

Deça vers nous, deça, ô tres-louable Ulisse,
Et le plus grand honneur dont la Grece fleurisse.

Ces philosophes là disoient que toute la gloire du monde ne meritoit pas qu’un homme d’entendement estandit seulement le doigt pour l’acquerir :

Gloria quantalibet quid erit, si gloria tamtum est ?

je dis pour elle seule : car elle tire souvent à sa suite plusieurs commoditez pour lesquelles elle se peut rendre desirable. Elle nous acquiert de la bienveillance ; elle nous rend moins exposez aux injures et offences d’autruy, et choses semblables. C’estoit aussi des principaux dogmes d’Epicurus : car ce precepte de sa secte : Cache Ta Vie, qui deffend aux hommes de s’empescher des charges et negotiations publiques, presuppose aussi necessairement qu’on mesprise la gloire, qui est une approbation que le monde fait des actions que nous mettons en evidence. Celuy qui nous ordonne de nous cacher et de n’avoir soing que de nous, et qui ne veut pas que nous soyons connus d’autruy, il veut encores moins que nous en soions honorez et glorifiez. Aussi conseille il à Idomeneus de ne regler aucunement ses actions par l’opinion ou