Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/316

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Nous voyons la liberté des invectives qu’ils font les uns contre les autres, je dy les plus grands chefs de guerre de l’une et l’autre nation, où les parolles se revenchent seulement par les parolles et ne se tirent à autre consequence.


De la liberté de conscience
Chap. XIX


Il est ordinaire de voir les bonnes intentions, si elles sont conduites sans moderation, pousser les hommes à des effects tres-vitieux. En ce debat par lequel la France est à présent agitée de guerres civiles, le meilleur et le plus sain party est sans doubte celuy qui maintient et la religion et la police ancienne du pays. Entre les gens de bien toutes-fois qui le suyvent (car je ne parle point de ceux qui s’en servent de pretexte pour, ou exercer leurs vengences particulieres, ou fournir à leur avarice, ou suyvre la faveur des Princes ; mais de ceux qui le font par vray zele envers leur religion, et sainte affection à maintenir la paix et l’estat de leur patrie), de ceux-cy, dis-je, il s’en voit plusieurs que la passion pousse hors les bornes de la raison, et leur faict par fois prendre des conseils injustes, violents et encore temeraires. Il est certain qu’en ces premiers temps que nostre religion commença de gaigner authorité avec les loix, le zele en arma plusieurs contre toute sorte de livres paiens, dequoy les gens de lettre souffrent une merveilleuse perte. J’estime que ce desordre ait plus porté de nuysance aux lettres que tous les feux des barbares. Cornelius Tacitus en est un bon tesmoing : car quoy que l’Empereur Tacitus, son parent, en eut peuplé par ordonnances expresses toutes les libreries du monde, toutes-fois un seul exemplaire entier n’a peu eschapper la curieuse recherche de ceux qui desiroyent l’abolir pour cinq ou six vaines clauses contraires à