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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/339

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Non schivar, non parar, non ritirarsi
Voglion costor, ne qui destrezza ha parte.
Non danno i colpi finti, hor pieni, hor scarsi :
Toglie l’ira e il furor l’uso de l’arte.
Odi le spade horribilmente urtarsi
A mezzo il ferro ; il pie d’orma non parte :
Sempre è il pie fermo, è la man sempre in moto ;
Ne scende taglio in van, ne punta à voto.

Les butes, les tournois, les barrieres, l’image des combats guerriers estoient l’exercice de nos peres : cet autre exercice est d’autant moins noble qu’il ne regarde qu’une fin privée, qui nous apprend à nous entreruyner, contre les loix et la justice, et qui en toute façon produict tousjours des effects dommageables. Il est bien plus digne et mieux seant de s’exercer en choses qui asseurent, non qui offencent nostre police, qui regardent la publique seurté et la gloire commune. Publius Rutilius consul fut le premier qui instruisist le soldat à manier ses armes par adresse et science, qui conjoingnist l’art à la vertu, non pour l’usage de querelle privée ; ce fut pour la guerre et querelles du peuple Romain. Escrime populaire et civile. Et, outre l’exemple de Caesar, qui ordonna aux siens de tirer principalement au visage des gendarmes de Pompeius en la bataille de Pharsale, mille autres chefs de guerre se sont ainsin advisez d’inventer nouvelle forme d’armes, nouvelle forme de frapper et de se couvrir selon le besoin de l’affaire present. Mais, tout ainsi que Philopoemen condamna la luicte, en quoy il excelloit, d’autant que les preparatifs qu’on employoit à cet exercice, estoient divers à ceux qui appartiennent à la discipline militaire, à laquelle seule il estimoit les gens d’honneur se devoir amuser, il me semble aussi que cette adresse à quoy on façonne ses membres, ces destours et mouvemens à quoy on exerce la jeunesse en cette nouvelle eschole, sont non seulement inutiles, mais contraires plustost et dommageables à l’usage du combat militaire. Aussi y emploient nos gens communéement des armes particulieres et peculierement destinées à cet usage. Et j’ay veu qu’on ne trouvoit guere bon qu’un gentil-homme, convié à l’espée et au poignard, s’offrit en equipage de gendarme. Il est digne de consideration que Lachez en Platon, parlant d’un apprentissage de manier les armes, conforme au nostre, dict n’avoir jamais de cette eschole veu sortir nul grand homme de guerre et nomméement des maistres d’icelle. Quand à ceux-là, nostre experience en dict bien autant. Du reste au-moins pouvons nous dire que ce sont suffisances de nulle relation et correspondance. Et en l’institution des enfans de sa police, Platon interdict les arts de mener les poings, introduictes par Amycus et Epeius, et de luiter, par Antaeus et Cercyo, par ce qu’elles ont autre but que de rendre la jeunesse plus apte au service des guerres et n’y conferent point. Mais je m’en vois un peu bien à gauche de mon theme. L’Empereur Maurice, estant adverty par songes et plusieurs prognostiques qu’un Phocas, soldat pour lors inconnu, le devoit tuer, demandoit à son gendre Philippe qui estoit ce Phocas, sa nature, ses conditions et ses meurs ; et comme, entre autres choses, Philippe luy dit qu’il estoit lasche et