Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/363

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Moy, je considere aucuns hommes fort loing au-dessus de moy : noméement entre les anciens : et encores que je reconnoisse clairement mon impuissance à les suyvre de mes pas, je ne laisse pas de les suyvre à veue et juger les ressorts qui les haussent ainsin, desquels je apperçoy aucunement en moy les semences : comme je fay aussi de l’extreme bassesse des esprits, qui ne m’estonne et que je ne mescroy non plus. Je voy bien le tour que celles là se donnent pour se monter ; et admire leur grandeur ; et ces eslancemens que je trouve tres-beaux, je les embrasse ; et si mes forces n’y vont, au moins mon jugement s’y applique tres-volontiers. L’autre exemple qu’il allegue des choses incroyables et entierement fabuleuses dites par Plutarque, c’est qu’Agesilaus fut mulcté par les Ephores pour avoir attiré à soy seul le cœur et volonté de ses citoyens. Je ne sçay quelle marque de fauceté il y treuve ; mais tant y a que Plutarque parle là de choses qui luy devoyent estre beaucoup mieux connues qu’à nous ; et n’estoit pas nouveau en Grece de voir les hommes punis et exilez pour cela seul d’agreer trop à leurs citoyens, tesmoin l’Ostracisme et le Petalisme. Il y a encore en ce mesme lieu un’autre accusation qui me pique pour Plutarque, où il dict qu’il a bien assorty de bonne foy les Romains aux Romains et les Grecz entre eux, mais non les Romains aux Grecz, tesmoin, dit-il, Demostenes et Cicero, Caton et Aristides, Sylla et Lisander, Marcellus et Pelopidas, Pompeius et Agesilaus ; estimant qu’il a favorisé les Grecz de leur avoir donné des compaignons si dispareils. C’est justement attaquer ce que Plutarque a de plus excellent et louable : car en ces comparaisons (qui est la piece plus admirable de ses œuvres et en laquelle, à mon advis, il s’est autant pleu), la fidelité et syncerité de ses jugemens égale leur profondeur et leur pois. C’est un philosophe qui nous apprend la vertu. Voyons si nous le pourrons garentir de ce reproche de prevarication et fauceté. Ce que je puis panser avoir donné occasion à ce jugement, c’est ce grand et esclatant lustre des noms Romains que nous avons en la teste. Il ne nous semble point que Demosthenes puisse égaler la gloire d’un