Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/364

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consul, proconsul et questeur de cette grande republique. Mais qui considerera la verité de la chose et les hommes en eux mesmes, à quoy Plutarque a plus visé, et à balancer leurs meurs, leurs naturels, leur suffisance que leur fortune, je pense, au rebours de Bodin, que Ciceron et le vieux Caton en doivent de reste à leurs compaignons. Pour son dessein, j’eusse plustost choisi l’exemple du jeune Caton comparé à Phocion : car, en ce païr, il se trouveroit une plus vray-semblable disparité à l’advantage du Romain. Quand à Marcellus, Sylla et Pompeius, je voy bien que leurs exploits de guerre sont plus enflez, glorieux et pompeus que ceux des Grecs que Plutarque leur apparie ; mais les actions les plus belles et vertueuses, non plus en la guerre qu’ailleurs, ne sont pas tousjours les plus fameuses. Je voy souvent des noms de capitaines estouffez soubs la splendeur d’autres noms de moins de merite : tesmoin Labienus, Ventidius, Telesinus et plusieurs autres. Et, à le prendre par là, si j’avois à me plaindre pour les Grecs, pourrois-je pas dire que beaucoup moins est Camillus comparable à Themistocles, les Gracches à Agis et Cleomenes, Numa à Licurgus ? Mais c’est folie de vouloir juger d’un traict les choses à tant de visages. Quand Plutarque les compare, il ne les égale pas pourtant. Qui plus disertement et conscientieusement pourroit remarquer leurs differences ? Vient-il à parangonner les victoires, les exploits d’armes, la puissance des armées conduites par Pompeius, et ses triumphes, avec ceux d’Agesilaus : Je ne croy pas, dit-il, que Xenophon mesme, s’il estoit vivant, encore qu’on luy ait concédé d’écrire tout ce qu’il a voulu à l’advantage d’Agesilaus, osast le mettre en comparaison. Parle-il de conferer Lisander à Sylla : Il n’y a, dit-il, point de comparaison, ny en nombre de victoires, ny en hazard de