Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/375

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fabrique : car il ne s’arreste si volontiers en nul endroit de ses faits, qu’à nous representer la subtilité de ses inventions en telle sorte d’ouvrages de main. J’y ay aussi remarqué cela, qu’il fait grand cas de ses exhortations aux soldats avant le combat : car, où il veut montrer avoir esté surpris ou pressé, il allegue tousjours cela, qu’il n’eust pas seulement loysir de haranguer son armée. Avant cette grande bataille contre ceux de Tournay : Caesar, dict-il, ayant ordonné du reste, courut soudainement où la fortune le porta, pour enhorter ses gens ; et rencontrant la dixiesme legion, il n’eust loisir de leur dire, sinon qu’ils eussent souvenance de leur vertu accoustumée, qu’ils ne s’estonnassent point et soustinsent hardiment l’effort des adversaires ; et par ce que l’ennemy estoit des-jà approché à un jet de trait, il donna le signe de la bataille ; et de là estant passé soudainement ailleurs pour en encourager d’autres, il trouva qu’ils estoyent des-jà aux prises. Voylà ce qu’il en dict en ce lieu là. De vray, sa langue luy a fait en plusieurs lieux de bien notables services ; et estoit, de son temps mesme, son eloquence militaire en telle recommendation que plusieurs en son armée recueilloyent ses harangues ; et par ce moyen il en fut assemblé des volumes qui ont duré long temps apres luy. Son parler avoit des graces particulieres, si que ses familiers, et, entre autres, Auguste, oyant reciter ce qui en avoit esté recueilli, reconnoissoit jusques aux phrases et aux mots ce qui n’estoit pas du sien. La premiere fois qu’il sortit de Rome avec charge publique, il arriva en huit jours à la riviere du Rhone, ayant dans sa coche devant luy un secretaire ou deux qui escrivoyent sans cesse, et derriere luy celuy qui portoit son espée. Et certes, quand on ne feroit qu’aler, à peine pourroit on atteindre à cette promptitude dequoy, tousjours victorieux, ayant laissé la Gaule et suyvant