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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/380

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et nayfve ; mais encore y apportoit il plus de conscience que nous ne ferions à cette heure, et n’approuvoit pas toutes sortes de moyens pour acquerir la victoire. En la guerre contre Ariovistus, estant à parlementer avec luy, il y survint quelque remuement entre les deux armées, qui commença par la faute des gens de cheval d’Ariovistus ; sur ce tumulte, Caesar se trouva avoir fort grand advantage sur ses ennemis ; toutesfois il ne s’en voulut point prevaloir, de peur qu’on luy peut reprocher d’y avoir procedé de mauvaise foy. Il avoit accoustumé de porter un accoustrement riche au combat et de couleur esclatante pour se faire remarquer. Il tenoit la bride plus estroite à ses soldats, et les tenoit plus de court ? estant pres des ennemis. Quand les anciens Grecs vouloyent accuser quelqu’un d’extreme insuffisance, ils disoyent en commun proverbe qu’il ne sçavoit ny lire ny nager. Il avoit cette mesme opinion, que la science de nager estoit tres-utile à la guerre, et en tira plusieurs commoditez : s’il avoit à faire diligence, il franchissoit ordinairement à nage les rivieres qu’il rencontroit, car il aymoit à voyager à pied comme le grand Alexandre. En Aegypte, ayant esté forcé, pour se sauver, de se mettre dans un petit bateau, et tant de gens s’y estant lancez quant et luy qu’il estoit en danger d’aller à fons, il ayma mieux se jetter en la mer et gaigna sa flote à nage, qui estoit plus de deux cents pas de là, tenant en sa main gauche ses tablettes hors de l’eau et trainant à belles dents sa cotte d’armes, afin que l’ennemy n’en jouyt, estant des-jà bien avancé sur l’eage. Jamais chef de guerre n’eust tant de creance sur ses soldats : au commancement de ses guerres civiles, les centeniers luy offrirent de soudoyer, chacun sur sa bourse, un homme d’armes ; et les gens de pied, de le servir à leurs despens, ceux qui estoyent plus aysez entreprenants encore à deffrayer les plus necessiteux.