Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/415

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faut qu’il connoisse la complexion du malade, sa temperature, ses humeurs, ses inclinations, ses actions, ses pensements mesmes et ses imaginations ; il faut qu’il se responde des circonstances externes, de la nature du lieu, condition de l’air et du temps, assiette des planettes et leurs influances ; qu’il sçache en la maladie les causes, les signes, les affections, les jours critiques ; en la drogue, le poix, la force, le pays, la figure, l’aage, la dispensation ; et faut que toutes ces pieces, il les sçache proportionner et raporter l’une à l’autre pour en engendrer une parfaicte symmetrie. A quoy s’il faut tant soit peu, si de tant de ressorts il y en a un tout seul qui tire à gauche, en voylà assez pour nous perdre. Dieu sçait de quelle difficulté est la connoissance de la pluspart de ces parties : car, pour exemple, comment trouvera-il le signe propre de la maladie, chacune estant capable d’un infiny nombre de signes ? Combien ont ils de debats entr’eux et de doubtes sur l’interpretation des urines ! Autrement d’où viendroit cette altercation continuelle que nous voyons entr’eux sur la connoissance du mal ? Comment excuserions nous cette faute, où ils tombent si souvent, de prendre martre pour renard ? Aux maux que j’ay eu, pour peu qu’il y eut de difficulté, je n’en ay jamais trouvé trois d’accord. Je remarque plus volontiers les exemples qui me touchent. Dernierement, à Paris, un gentil-homme fust taillé par l’ordonnance des medecins, auquel on ne trouva de pierre non plus à la vessie qu’à la main ; et là mesmes, un Evesque qui m’estoit fort amy, avoit esté instamment sollicité par la pluspart des medecins qu’il appelloit à son conseil, de se faire tailler ; j’aydoy moy mesme, soubs la foy d’autruy, à le luy suader : quand il fust trespassé et qu’il fust ouvert, on trouva qu’il n’avoit mal qu’aux reins. Ils sont moins excusables en cette maladie, d’autant qu’elle est aucunement palpable. C’est par là que la chirurgie me semble beaucoup plus certaine, par ce qu’elle