Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/106

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quand ce furent les maistres qui vindrent à l’imiter. Pecuniarum translatio a justis dominis ad alienos non debet liberalis videri. Philippus, de ce que son fils essaioit par presents de gaigner la volonté des Macedoniens, l’en tança par une lettre en cette maniere : Quoy ? as tu envie que tes subjects te tiennent pour leur boursier, non pour leur Roy ? Veux tu les prattiquer ? prattique les des bien-faicts de ta vertu, non des bien-faicts de ton coffre. C’estoit pourtant une belle chose, d’aller faire apporter et planter en la place aus arenes une grande quantité de gros arbres, tous branchus et tous verts, representans une grande forest ombrageuse, despartie en belle symmetrie, et, le premier jour, jetter là dedans mille austruches, mille cerfs, mille sangliers et mille dains, les abandonnant à piller au peuple ; le lendemain, faire assomer en sa presence cent gros lions, cent leopards, et trois cens ours, et, pour le troisiesme jour, faire combatre à outrance trois cens pairs de gladiateurs, comme fit l’Empereur Probus. C’estoit aussi belle chose à voir ces grands amphitheatres encroustez de marbre au dehors, labouré d’ouvrages et statues, le dedans reluisant de plusieurs rares enrichissemens,

Baltheus en gemmis, en illita porticus auro ;

tous les coustez de ce grand vuide remplis et environnez, depuis le fons jusques au comble, de soixante ou quattre vingts rangs d’eschelons, aussi de marbre, couvers de carreaus,

exeat, inquit,
Si pudor est, et de pulvino surgat equestri,
Cujus res legi non sufficit ;

où se peut renger cent mille hommes assis à leur aise ; et la place du fons, où les jeux se jouoyent, la faire premierement, par art, entr’ouvrir et fendre en crevasses representant des antres qui vomissoient les bestes destinées au spectacle ; et puis secondement l’innonder d’une mer profonde, qui charrioit force monstres marins, chargée de vaisseaux armez, à representer une bataille navalle ; et, tiercement, l’aplanir et assecher de nouveau pour le combat des gladiateurs ; et, pour la quatriesme façon, la sabler de vermillon et de storax, au lieu d’arene, pour y dresser un festin solemne à tout ce nombre infiny de peuple : le dernier acte d’un seul jour ;