Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/116

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deportemens, et quasi tous desestimez et mal-voulus. Dieu a meritoirement permis que ces grands pillages se soient absorbez par la mer en les transportant, ou par les guerres intestines dequoy ils se sont entremangez entre eux, et la plus part s’enterrerent sur les lieux, sans aucun fruict de leur victoire. Quant à ce que la recepte, et entre les mains d’un prince mesnager et prudent, respond si peu à l’esperance qu’on en donna à ses predecesseurs, et à cette premiere abondance de richesses qu’on rencontra à l’abord de ces nouvelles terres (car, encore qu’on en retire beaucoup, nous voyons que ce n’est rien au pris de ce qui s’en devoit attendre), c’est que l’usage de la monnoye estoit entierement inconneu, et que par consequent leur or se trouva tout assemblé, n’estant en autre service que de montre et de parade, comme un meuble reservé de pere en fils par plusieurs puissants Roys, qui espuisoient toujours leurs mines pour faire ce grand monceau de vases et statues à l’ornement de leurs palais et de leurs temples, au lieu que nostre or est tout en emploite et en commerce. Nous le menuisons et alterons en mille formes, l’espandons et dispersons. Imaginons que nos Roys amoncelassent ainsi tout l’or qu’ils pourroient trouver en plusieurs siecles, et le gardassent immobile. Ceux du Royaume de Mexico estoient aucunement plus civilisez et plus artistes que n’estoient les autres nations de là. Aussi jugeoient-ils, ainsi que nous, que l’univers fut proche de sa fin, et en prindrent pour signe la desolation que nous y apportames. Ils croyoyent que l’estre du monde se depart en cinq aages et en la vie de cinq soleils consecutifs, desquels les quatre avoient desjà fourny leur temps, et que celuy qui leur esclairoit estoit le cinquiesme. Le premier perit avec toutes les autres creatures par universelle inondation d’eaux ; le second, par la cheute du ciel sur nous, qui estouffa toute chose vivante, auquel aage ils assignent les