Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/115

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pour reproche de sa lascheté et pusillanimité, luy dict seulement ces mots, d’une voix rude et ferme : Et moy, suis-je dans un bain ? suis-je pas plus à mon aise que toy ? Celuy-là, soudain apres, succomba aux douleurs et mourut sur la place. Le Roy, à demy rosty, fut emporté de là, non tant par pitié (car quelle pitié toucha jamais des ames qui, pour la doubteuse information de quelque vase d’or à piller, fissent griller devant leurs yeux un homme, non qu’un Roy si grand et en fortune et en merite), mais ce fut que sa constance rendoit de plus en plus honteuse leur cruauté. Ils le pendirent depuis, ayant courageusement entrepris de se delivrer par armes d’une si longue captivité et subjection, où il fit sa fin digne d’un magnanime prince. A une autre-fois, ils mirent brusler pour un coup, en mesme feu, quatre cens soixante hommes tous vifs, les quatre cens du commun peuple, les soixante des principaux seigneurs d’une province, prisonniers de guerre simplement. Nous tenons d’eux-mesmes ces narrations, car ils ne les advouent pas seulement, ils s’en ventent et les preschent. Seroit-ce pour tesmoignage de leur justice ou zele envers la religion ? Certes, ce sont voyes trop diverses et ennemies d’une si saincte fin. S’ils se fussent proposés d’estendre nostre foy, ils eussent consideré que ce n’est pas en possession de terres qu’elle s’amplifie, mais en possession d’hommes, et se fussent trop contentez des meurtres que la necessité de la guerre apporte, sans y mesler indifferemment une boucherie, comme sur des bestes sauvages, universelle, autant que le fer et le feu y ont peu attaindre, n’en ayant conservé par leur dessein qu’autant qu’ils en ont voulu faire de miserables esclaves pour l’ouvrage et service de leurs minieres : si que plusieurs des chefs ont esté punis à mort, sur les lieux de leur conqueste, par ordonnance des Rois de Castille, justement offencez de l’horreur de leurs