Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/211

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Fuyez la, faict-il, courez hors de sa veue et de son rencontre, comme d’une poison puissante qui s’eslance et frappe de loing. Et son bon disciple, feignant ou recitant, mais à mon advis recitant plustost que feignant les rares perfections de ce grand Cyrus, le faict deffiant de ses forces à porter les attraicts de la divine beauté de cette illustre Panthée, sa captive, et en commettant la visite et garde à un autre qui eust moins de liberté que luy. Et le sainct Esprit de mesme : ne nos inducas in tentationem. Nous ne prions pas que nostre raison ne soit combattue et surmontée par la concupiscence, mais qu’elle n’en soit pas seulement essayée, que nous ne soyons conduits en estat où nous ayons seulement à souffrir les approches, solicitations et tentations du peché ; et supplions nostre seigneur de maintenir nostre conscience tranquille, plainement et parfectement delivrée du commerce du mal. Ceux qui disent avoir raison de leur passion vindicative ou de quelqu’autre espece de passion penible, disent souvent vray comme les choses sont, mais non pas comme elles furent. Ils parlent à nous lors que les causes de leur erreur sont nourries et avancées par eux mesmes. Mais reculez plus arriere, r’appelez ces causes à leur principe : là, vous les prendrez sans vert. Veulent ils que leur faute soit moindre pour estre plus vieille, et que d’un injuste commencement la suitte soit juste ? Qui desirera du bien à son païs comme moy, sans s’en ulcerer ou maigrir, il sera desplaisant, mais non pas transi, de le voir menassant ou sa ruyne ou une durée non moins ruyneuse. Pauvre vaisseau, que les flots, les vents et le pilotte tirassent à si contraires desseins :

xxxxxxxxxxxxxxxx in tam diversa magister,
Ventus et unda trahunt.

Qui ne bée poinct apres la faveur des princes comme apres chose dequoy il ne se sçauroit passer, ne se pique pas beaucoup de la froideur de leur recueil et de leur visage, ny de l’inconstance de leur volonté. Qui ne couve point ses enfans ou ses honneurs d’une propension esclave, ne laisse pas de vivre commodéement apres leur perte. Qui fait bien principalement pour sa propre satisfaction, ne s’altere guere pour voir les hommes juger de ses actions contre son merite. Un quart d’once de patience pourvoit à tels inconvenients. Je me trouve bien de cette recepte, me rachetant des commencemens au meilleur conte que je puis, et me sens avoir eschapé par son moyen beaucoup de travail et de difficultez. Avec bien peu d’effort j’arreste ce premier branle de mes esmotions, et abandonne le subject qui me commence à poiser, et avant qu’il m’emporte. Qui n’arreste le partir n’a garde d’arrester la course. Qui ne sçait leur fermer la porte ne les chassera pas entrées. Qui ne peut venir à bout du commencement ne viendra pas à bout de la fin. Ny n’en soustiendra la cheute qui n’en a peu soustenir l’esbranlement. Etenim ipsae se impellunt ubi semel a ratione discessum est ; ipsaque sibi imbecillitas indulget, in altumque provehitur imprudens, nec reperit locum consistendi. Je sens à temps les petis vents qui