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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/54

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bien-vueillance, et les deesses protectrices d’humanité et de justice, du vice d’ingratitude et de mesconnoissance. Je ne suis pas de si long temps cassé de l’estat et suitte de ce Dieu que je n’aye la memoire informée de ses forces et valeurs,

agnosco veteris vestigia flammae.

Il y a encore quelque demeurant d’emotion et chaleur apres la fiévre,

Nec mihi deficiat calor hic, hiemantibus annis.

Tout asseché que je suis et appesanty, je sens encore quelques tiedes restes de cette ardeur passée :

Qual l’alto Aegeo, per che Aquilone o Noto
Cessi, che tutto prima il vuolse et scosse,
Non s’accheta ei pero : ma’l sono e’l moto,
Ritien de l’onde anco agitate è grosse.

Mais de ce que je m’y entends, les forces et valeur de ce Dieu se trouvent plus vives et plus animées en la peinture de la poesie qu’en leur propre essence,

Mais de ce que je m’y entendsEt versus digitos habet.

Elle represente je ne sçay quel air plus amoureux que l’amour mesme. Venus n’est pas si belle toute nue, et vive, et haletante, comme elle est icy chez Virgile :

Dixerat, et niveis hinc atque hinc diva lacertis
Cunctantem amplexu molli fovet. Ille repente
Accepit solitam flammam, notusque medullas
Intravit calor, et labefacta per ossa cucurrit.
Non secus atque olim tonitru cum rupta corusco
Ignea rima micans percurrit lumine nimbos.
Ea verba loquutus,
Optatos dedit amplexus, placidumque petivit.
Conjugis infusus gremio per membra soporem.

Ce que j’y trouve à considerer, c’est qu’il la peinct un peu bien esmeue pour une Venus maritale. En ce sage marché, les appetits ne se trouvent pas si follastres ; ils sont sombres et plus mousses. L’amour hait qu’on se tienne par ailleurs que par luy, et se