Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/62

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à la barbe des commoditez maritales. Nous les dressons des l’enfance aus entremises de l’amour : leur grace, leur atiffeure, leur science, leur parole, toute leur instruction ne regarde qu’à ce but. Leurs gouvernantes ne leur impriment autre chose que le visage de l’amour, ne fut qu’en le leur representant continuellement pour les en desgouster. Ma fille (c’est tout ce que j’ay d’enfans) est en l’aage auquel les loix excusent les plus eschauffées de se marier ; elle est d’une complexion tardive, mince et molle, et a esté par sa mere eslevée de mesme d’une forme retirée et particuliere : si qu’elle ne commence encore qu’à se desniaiser de la nayfveté de l’enfance. Elle lisoit un livre françois devant moy. Le mot de fouteau s’y rencontra, nom d’un arbre cogneu ; la femme qu’ell’a pour sa conduite, l’arresta tout court un peu rudement, et la fit passer par dessus ce mauvais pas. Je la laissay faire pour ne troubler leurs reigles, car je ne m’empesche aucunement de ce gouvernement : la police feminine a un trein mysterieux, il faut le leur quitter. Mais, si je ne me trompe, le commerce de vingt laquays n’eust sçeu imprimer en sa fantasie, de six moys, l’intelligence et usage et toutes les consequences du son de ces syllabes scelerées, comme fit cette bonne vieille par sa reprimande et interdiction.

Motus doceri gaudet Ionicos
Matura virgo, et frangitur artubus
Jam nunc, et incestos amores
De tenero meditatur ungui.

Qu’elles se dispensent un peu de la ceremonie, qu’elles entrent en liberté de discours, nous ne sommes qu’enfans au pris d’elles en cette science. Oyez leur representer nos poursuittes et nos entretiens, elles vous font bien cognoistre que nous ne leur apportons rien qu’elles n’ayent sçeu et digeré sans nous. Seroit-ce ce que dict Platon, qu’elles ayent esté garçons desbauchez autresfois ? Mon oreille se rencontra un jour en lieu où elle pouvoit desrober aucun des discours faicts entre elles sans soubçon : que ne