Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/63

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puis-je le dire ? Nostredame ! (fis-je) allons à cette heure estudier des frases d’Amadis et des registres de Boccace et de l’Aretin pour faire les habiles : nous employons vrayement bien nostre temps’Il n’est ny parole, ny exemple, ny démarche qu’elles ne sçachent mieux que nos livres : c’est une discipline qui naist dans leurs veines,

Et mentem Venus ipsa dedit,

que ces bons maistres d’escole, nature, jeunesse et santé, leur soufflent continuellement dans l’ame ; elles n’ont que faire de l’apprendre, elles l’engendrent.

Nec tantum niveo gavisa est ulla columbo
Compar, vel si quid dicitur improbius,
Oscula mordenti semper decerpere rostro,
Quantum praecipuè multivola est mulier.

Qui n’eut tenu un peu en bride cette naturelle violence de leur desir par la crainte et honneur dequoy on les a pourveues, nous estions diffamez. Tout le mouvement du monde se resoult et rend à cet accoupplage : c’est une matiere infuse par tout, c’est un centre où toutes choses regardent. On void encore des ordonnances de la vieille et sage Romme faictes pour le service de l’amour, et les preceptes de Socrates à instruire les courtisanes :

Nec non libelli Stoici inter sericos
Jacere pulvillos amant.

Zenon, parmy ses loix, regloit aussi les escarquillemens et les secousses du depucelage. De quel sens estoit le livre du philosophe Strato, de la conjonction charnelle ? et de quoy traittoit Theophraste en ceux qu’il intitula, l’un l’Amoureux, l’autre de l’Amour ? De quoy Aristippus au sien des antiennes delices ? Que veulent pretendre les descriptions si estendues et vives en Platon, des amours de son temps plus hardies ? Et le livre de l’Amoureux de Demetrius Phalereus ; et Clinias ou l’Amoureux forcé de Heraclides Ponticus ? Et d’Antisthenes celuy de faire les enfans ou des nopces, et l’autre du Maistre ou de l’Amant ? et d’Aristo celuy des exercices amoureux ? de Cleanthes, un de l’Amour, l’autre de l’Art d’aymer. Les dialogues amoureux de Spherus ? et la fable de Jupiter et Juno de Chrysippus, eshontée au delà de toute souffrance, et ses cinquante epistres si lascives ? Car il faut laisser à part les escrits des philosophes qui ont suivy la secte Epicurienne. Cinquante deitez estoient, au temps passé, asservies à cet office ; et s’est trouvé nation où, pour endormir la concupiscence de ceux qui venoient à la devotion, on tenoit aux Églises des garses et des garsons à jouyr, et estoit acte de ceremonie de s’en servir avant venir à l’office. Nimirum propter continentiam incontinentia necessaria est ; incendium ignibus extinguitur.En la plus part du monde, cette partie de nostre corps estoit deifiée. En mesme province, les uns se l’escorchoient pour en