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ESSAIS DE MONTAIGNE.

mis le Capitaine et l’enseigne, il les fit pendre et estrangler pour cette mesme raison : comme fit aussi le Capitaine Martin du Bellay lors Gouuerneur de Turin, en cette mesme contrée, le Capitaine de S. Bony : le reste de ses gens ayant esté massacré à la prinse de la place.Mais d’autant que le iugement de la valeur et foiblesse du lieu, se prend par l’estimation et contrepois des forces qui l’assaillent (car tel s’opiniastreroit iustement contre deux couleurines, qui feroit l’enragé d’attendre trente canons) ou se met encore en conte la grandeur du Prince conquérant, sa réputation, le respect qu’on luy doit : il y a danger qu’on presse vn peu la balance de ce costé là. Et en adulent par ces mesmes termes, que tels ont si grande opinion d’eux et de leurs moyens, que ne leur semblant raisonnable qu’il y ait rien digne de leur faire teste, ilz passent le Cousteau par tout où ils trouuent résistance, autant que fortune leur dure : comme il se voit par les formes de sommation et deffi, que les Princes d’Orient et leurs successeurs, qui sont encores, ont en vsage, fiere, hautaine et pleine d’vn commandement barbaresque. Et au quartier par où les Portugaiz escornerent les Indes, ils trouuerent des estats auec cette loy vniuerselle et inuiolable, que tout ennemy vaincu par le Roy en présence, ou par son Lieutenant est hors de composition de rançon et de mercy.

Ainsi sur tout il se faut garder qui peut, de tomber entre les mains d’vn Iuge ennemy, victorieux et armé.

CHAPITRE XV.

De la punition de la couardise.


Iovy autrefois tenir à vn Prince, et tresgrand Capitaine, que pour lascheté de cœur vn soldat ne pouuoit estre condamné à mort : luy estant à table fait récit du procès du Seigneur de Veruins, qui fut condamné à mort pour auoir rendu Bouloigne. À la