Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/148

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vous auez tout veu : vn iour est égal à tous iours. Il n’y a point d’autre lumière, ny d’autre nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles, cette disposition, c’est celle mesme que vos ayeuls ont iouye, et qui entretiendra vos arriere-nepueux.

Non alium videre patres : aliumve nepotes
Aspicient.


Et au pis aller, la distribution et variété de tous les actes de ma comédie, se parfournit en vn an. Si vous auez pris garde au branle de mes quatre saisons, elles embrassent l’enfance, l’adolescence, la virilité, et la vieillesse du monde. Il a ioüé son ieu : il n’y sçait autre finesse, que de recommencer ; ce sera tousiours cela mesme.

versamur ibidem, atque irisumus vsque,
Atque in se sua per vestigia voluitur annus.


Ie ne suis pas délibérée de vous forger autres nouueaux passetemps.

Nam tibi præterea quod machiner, inueniàmque
Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.


Faictes place aux autres, comme d’autres vous l’ont faite. L’équalité est la première pièce de l’equité. Qui se peut plaindre d’estre comprins où tous sont comprins ? Aussi auez vous beau viure, vous n’en rabattrez rien du temps que vous auez à estre mort : c’est pour néant ; aussi long temps serez vous en cet estât là, que vous craingnez, comme si vous estiez mort en nourrisse :

licet, quod vis, viuendo vincere secla,
Mors æterna tamen, nihilominus illa manebit.

Et si vous mettray en tel point, auquel vous n’aurez aucun mescontentement.

In vera nescis nullum fore morte alium te.
Qui possit viuus tibi te lugere peremptum,
Stànsque iacentem.


Ny ne désirerez la vie que vous plaignez tant.

Nec sibi enim quisquam tum se vitàmque requirit,
Nec desiderium nostri nos afficit vllum.

La mort est moins à craindre que rien, s’il y auoit quelque chose de moins, que rien.

multo mortem minus ad nos esse putandum.
Si minus esse potest quàm quod nihil esse videmus.


Elle ne vous concerne ny mort ny vif. Vif, par ce que vous estes : mort, par ce que vous n’estes plus. D’auantage nul ne meurt auant son heure. Ce que vous laissez de temps, n’estoit non plus vostre, que celuy qui s’est passé auant vostre naissance : et ne vous touche non plus.

Respice enim quàm nil ad nos antè acta vetustas
Temporis æterni fuerit.

Où que vostre vie finisse, elle y est toute. L’vtilité du viure n’est pas en l’espace : elle est en l’vsage. Tel a vescu long temps, qui a peu vescu. Attendez vous y pendant que vous y estes. Il gist en vostre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vescu. Pensiez vous iamais n’arriuer là, où vous alliez sans cesse ? encore