Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/150

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n’y a-il chemin qui n’ayc son issue. Et si la compagnie vous peut soulager, le monde ne va-il pas mesme-train que vous allez ?

omnia te vita perfuncta sequentur.

Tout ne branle-il pas vostre branle ? y a-il chose qui ne vieillisse quant et vous ? Mille hommes, mille animaux et mille autres créatures meurent en ce mesme instant que vous mourez.

Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,
Quæ non audierit mistos vagilibus ægris
Ploratus mortis comites et funeris atri.

À quoy faire y reculez vous, si vous ne pouuez tirer arrière ? Vous en auez assez veu qui se sont bien trouués de mourir, escheuant par là des grandes misères. Mais quelqu’vn qui s’en soit mal trouué, en auez vous veu ? Si est-ce grande simplesse, de condamner chose que vous n’auez esprouuée ny par vous ny par autre. Pourquoy te pleins-tu de moy et de la destinée ? Te faisons nous tort ? Est-ce à toy de nous gouuerner, ou à nous toy ? Encore que ton aage ne soit pas acheué, ta vie l’est. Vn petit homme est homme entier comme vn grand. Ny les hommes ny leurs vies ne se mesurent à l’aune.Chiron refusa l’immortalité, informé des conditions d’icelle, par le Dieu mesme du temps, et de la durée, Saturne son père. Imaginez de vray, combien seroit vne vie perdurable, moins supportable à l’homme, et plus pénible, que n’est la vie que ie luy ay donnée. Si vous n’auiez la mort, vous me maudiriez sans cesse de vous en auoir priué. I’y ay à escient meslé quelque peu d’amertume, pour vous empescher, voyant la commodité de son vsage, de l’embrasser trop auidement et indiscrètement. Pour vous loger en cette modération, ny de fuir la vie, ny de refuir à la mort, que ie demande de vous ; i’ay tempéré l’vne et l’autre entre la douceur et l’aigreur.I’apprins à Thales le premier de voz sages, que le viure et le mourir estoit indiffèrent : par où, à celuy qui luy demanda, pourquoy donc il ne mouroit, il respondit tressagement, Pour ce qu’il est indiffèrent. L’eau, la terre, l’air et le feu, et autres membres de ce mien bastiment, ne sont non plus instruments de ta vie, qu’instruments de ta mort. Pourquoy crains-tu ton dernier iour ? Il ne confère non plus à ta mort que chascun des autres. Le dernier pas ne faict pas la lassitude : il la declaire. Tous les iours vont à la