Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/158

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auoit le moins de besoin, se trouuant en pareille occasion, l’horreur de ce conte luy vint à coup si rudement frapper l’imagination, qu’il en courut vne fortune pareille. Et de là en hors fut subiect à y renchoir : ce villain souuenir de son inconuenient le gourmandant et tyrannisant. Il trouua quelque remède à cette resuerie, par vne autre resuerie. C’est qu’aduouant luy mesme, et preschant auant la main, cette sienne subiection, la contention de son ame se soulageoit, sur ce, qu’apportant ce mal comme attendu, son obligation en amoindrissoit, et luy en poisoit moins. Quand il a eu loy, à son chois (sa pensée desbrouillée et desbandée, son corps se trouuant en son deu) de le faire lors premièrement tenter, saisir, et surprendre à la cognoissance d’autruy, il s’est guari tout net. À qui on a esté vne fois capable, on n’est plus incapable, sinon par iuste foiblesse. Ce malheur n’est à craindre qu’aux entreprinses, où nostre ame se trouue outre mesure tendue de désir et de respect ; et notamment où les commoditez se rencontrent improuueues et pressantes. On n’a pas moyen de se rauoir de ce trouble. I’en sçay, à qui il a seruy d’y apporter le corps mesme, demy rassasié d’ailleurs, pour endormir l’ardeur de cette fureur, et qui par l’aage, se trouue moins impuissant, de ce qu’il est moins puissant : et tel autre, à qui il a serui aussi qu’vn amy l’ayt asseuré d’estre fourni d’vne contrebatterie d’enchantemens certains, à le preseruer. Il vaut mieux, que ie die comment ce fut.Vn Comte de tresbon lieu, de qui i’estoye fort priué, se mariant auec vne belle dame, qui auoit esté poursuiuie de tel qui assistoit à la feste, mettoit en grande peine ses amis : et nommément vne vieille dame sa parente, qui presidoit à ces nopces, et les faisoit chez elle, craintiue de ces sorcelleries : ce qu’elle me fit entendre. Ie la priay s’en reposer sur moy. I’auoye de fortune en mes coffres, certaine petite pièce d’or platte, où estoient grauées quelques figures célestes, contre le coup du Soleil, et pour oster la douleur de teste, la logeant à point, sur la cousture du test : et pour l’y tenir, elle estoit cousue à vn ruban propre à rattacher souz le menton. Resuerie germaine à celle dequoy nous parlons, Iacques Peletier, viuant chez moy, m’auoit faict ce présent singulier. I’aduisay d’en tirer quelque vsage, et dis au Comte, qu’il pourroit courre fortune comme les autres, y ayant là des hommes pour luy en vouloir prester vne ; mais que hardiment il s’allast coucher : que ie luy feroy vn tour d’amy : et n’espargneroys à son besoin, vn miracle, qui estoit en ma puissance : pourueu que sur son honneur, il me promist de le tenir tresfidelement secret. Seulement,