Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour chose du monde ils ne le feroient : mais s’estant aussi essayé de persuader aux Indiens de laisser leur façon, et prendre celle de Grèce, qui estoit de brusler les corps de leurs pères, il leur fit encore plus d’horreur. Chacun en fait ainsi, d’autant que l’vsage nous desrobbe le vray visage des choses.

Nil adeo magnum, nec lam mirabile quicquam
Principio, quod non minuant mirarier omnes
Paulatim.

Autrefois ayant à faire valoir quelqu’vne de nos obseruations, et receuë auec résolue authorité bien loing autour de nous : et ne voulant point, comme il se fait, l’establir seulement par la force des loix et des exemples, mais questant tousiours iusques à son origine, i’y trouuay le fondement si foible, qu’à peine que ie ne m’en degoustasse, moy, qui auois à la confirmer en autruy. C’est cette recepte, par laquelle Platon entreprend de chasser les des-naturees et preposteres amours de son temps : qu’il estime souueraine et principale : assauoir, que l’opinion publique les condamne : que les Poètes, que chacun en face de mauuais comptes. Recepte, par le moyen de laquelle, les plus belles filles n’attirent plus l’amour des pères, ny les frères plus excellents en beauté, l’amour des sœurs. Les fables mesmes de Thyestes, d’Oedipus, de Macareus, ayant, auec le plaisir de leur chant, infus cette vtile créance, en la tendre ceruelle des enfants. De vray, la pudicité est vne belle vertu, et de laquelle l’vtilité est assez connue : mais de la traitter et faire valoir selon nature, il est autant mal-aysé, comme il est aysé de la faire valoir selon l’vsage, les loix, et les préceptes. Les premières et vniuerselles raisons sont de difficile perscrutation. Et les passent noz maistres en escumant, ou en ne les osant pas seulement taster, se iettent d’abordée dans la franchise de la coustume : là ils s’enflent, et triomphent à bon compte. Ceux qui ne se veulent laisser tirer hors cette originelle source, faillent encore plus : et s’obligent à des opinions sauuages, tesmoin Chrysippus : qui sema en tant de lieux de ses escrits, le peu de compte en quoy il tenoit les conionctions incestueuses, quelles qu’elles fussent.Qui voudra se deffaire de ce violent preiudice de la coustume, il trouuera plusieurs choses receuës d’vne resolution indubitable, qui n’ont appuy qu’en la barbe chenue et rides de l’vsage, qui les accompaigne : mais ce