Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/218

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volontairement abandonné et commis sa vie, et sa liberté, entre les mains de ses ennemis : montrant auoir entière fiance d’eux, afin qu’ils la prinssent de luy. À ses légions mutinées et armées contre luy, Cæsar opposoit seulement l’authorité de son visage, et la fierté de ses paroles ; et se floit tant à soyct à sa fortune, qu’il ne craingnoit point de s’abandonner et commettre à vne armée séditieuse et rebelle ;

Stetit aggere fultus
Cespitis, intrepidus vultu, meruitqve timeri
Nil metuens.

Mais il est bien vray, que cette forte asseurance ne se peut présenter bien entière, et naifue, que par ceux ausquels l’imagination de la mort, et du pis qui peut aduenir après tout, ne donne point d’etfroy ; car de la représenter tremblante encore, doubteuse et incertaine, pour le seruice d’vne importante réconciliation, ce n’est rien faire qui vaille. C’est vn excellent moyen de gaigner le cœur et volonté d’autruy, de s’y aller soubsmettre et fier, pourueu que ce soit librement, et sans contrainte d’aucune nécessité, et que ce soit en condition, qu’on y porte vne fiance pure et nette ; le front au moins deschargé de tout scrupule. Ie vis en mon enfance, vn Gentil-homme commandant à vne grande ville empressé à l’esmotion d’vn peuple furieux. Pour esteindre ce commencement du trouble, il print party de sortir d’vn lieu tres-asseuré où il estoit, et se rendre à cette tourbe mutine : d’où mal luy print, et y fut misérablement tué. Mais il ne me semble pas que sa faute fust tant d’estre sorty, ainsi qu’ordinairement on le reproche à sa mémoire, comme ce fut d’auoir pris vne voye de soubsmission et de mollesse : et d’auoir voulu endormir cette rage, plustost en suiuant qu’en guidant, et en requérant plustost qu’en remontrant : et estime que vne gracieuse seuerité, auec vn commandement militaire, plein de sécurité, et de confiance, conuenable à son rang, et à la dignité de sa charge, luy eust mieux succédé, au moins auec plus d’honneur, et de bien-seance. Il n’est rien moins esperable de ce monstre ainsin agité, que l’humanité et la douceur, il receura bien plustost la reuerance et la crainte. Ie luy reprocherois aussi, qu’ayant pris vne resolution plustost braue à mon gré, que téméraire, de se ietter foible et en pourpoint, emmy cette mer tempestueuse d’hommes insensez, il la deuoit aualler toute, et n’abandonner ce personnage. Là où il luy aduint après auoir recogneu le danger de près, de saigner du nez : et d’altérer encore depuis cette contenance démise et flatteuse, qu’il auoit entreprinse, en vne contenance effraiee : chargeant sa voix et ses yeux d’estonnement et de pénitence : cer-