Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/272

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misphere semble estre en tempeste et orage. Et disoit le Sauoïard, que si ce sot de Roy de France, eut sçou bien conduire sa fortune, il estoit homme pour deuenir maistre d’hostel de son Duc. Son imagination ne conceuoit autre plus esleuee grandeur, que celle de son maistre. Nous sommes insensiblement touts en cette erreur : erreur de grande suitte et preiudice. Mais qui se présente comme dans vn tableau, cette grande image de nostre mère nature, en son entière maiesté : qui lit en son visage, vne si générale et constante variété : qui se remarque là dedans, et non soy, mais tout vn royaume, comme vn traict d’vne pointe tres-delicate, celuy-là seul estime les choses selon leur iuste grandeur.Ce grand monde, que les vns multiplient encore comme espèces soubs vn genre, c’est le miroüer, où il nous faut regarder, pour nous cognoistre de bon biais. Somme ie veux que ce soit le liure de mon escolier. Tant d’humeurs, de sectes, de iugemens, d’opinions, de loix, et de coustumes, nous apprennent à iuger sainement des nostres, et apprennent nostre iugement à recognoistre son imperfection et sa naturelle foiblesse : qui n’est pas vn legier apprentissage. Tant de remuements d’estat, et changements de fortune publique, nous instruisent à ne faire pas grand miracle de la nostre. Tant de noms, tant de victoires et conquestes enseuelies soubs l’oubliance, rendent ridicule l’espérance d’éterniser nostre nom par la prise de dix argoulets, et d’vn pouillier, qui n’est cognu que de sa cheute. L’orgueil et la fiereté de tant de pompes estrangeres, la maiesté si enflée de tant de cours et de grandeurs, nous fermit et asseure la veüe, à soustenir l’esclat des nostres, sans siller les yeux. Tant de milliasses d’hommes enterrez auant nous, nous encouragent à ne craindre d’aller trouuer si bonne compagnie en l’autre monde : ainsi du reste. Nostre vie, disoit Pythagoras, retire à la grande et populeuse assemblée des ieux Olympiques. Les vns exercent le corps, pour en acquérir la gloire des ieux : d’autres y portent des marchandises à vendre, pour le gain. Il en est, et qui ne sont pas les pires, lesquels n’y cherchent aucun fruict, que de regarder comment et pourquoy chasque chose se faict : et estre spectateurs de la vie des autres hommes, pour en iuger et régler la leur.Aux exemples se pourront proprement assortir tous les plus profitables discours de la philosophie, à laquelle se doiuent toucher les actions humaines, comme à leur règle. On luy dira,

quid fas optare, quid asper
Vtile nummus habet, patriæ charisque propinquis
Quantum elargiri deceat, quem te Deus esse
Iussit, et humana qua parte locatus es in re,
Quid sumus, aut quidnam victuri gignimur :