Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/280

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iugera masle son amour mesme, s’il choisit tout diuersement à cet efféminé pasteur de Phrygie.

Il luy fera cette nouuelle leçon, que le prix et hauteur de la vraye vertu, est en la facilité, vtilité et plaisir de son exercice : si esloigné de difficulté, que les enfans y peuuent comme les hommes, les simples comme les subtilz. Le règlement c’est son vtil, non pas la force. Socrates son premier mignon, quitte à escient sa force, pour glisser en la naïueté et aisance de son progrés. C’est la mère nourrice des plaisirs humains. En les rendant iustes, elle les rend seurs et purs. Les modérant, elle les tient en haleine et en appétit. Retranchant ceux qu’elle refuse, elle nous aiguise enuers ceux qu’elle nous laisse : et nous laisse abondamment tous ceux que veut nature : et iusques à la satiété, sinon iusques à la lasseté ; maternellement : si d’aduenture nous ne voulons dire, que le régime, qui arreste le beuueur auant l’yuresse, le mangeur auant la crudité, le paillard auant la pelade, soit ennemy de noz plaisirs. Si la fortune commune luy faut, elle luy eschappe ; ou elle s’en passe, et s’en forge vne autre toute sienne : non plus flottante et roulante : elle sçait estre riche, et puissante, et sçauante, et coucher en des matelats musquez. Elle aime la vie, elle aime la beauté, la gloire, et la santé. Mais son office propre et particulier, c’est sçauoir vser de ces biens là regléement, et les sçauoir perdre constamment : office bien plus noble qu’aspre, sans lequel tout cours de vie est desnaturé, turbulent et difforme : et y peut-on iustement attacher ces escueils, ces haliers, et ces monstres.Si ce disciple se rencontre de si diuerse condition, qu’il aime mieux ouyr vne fable, que la narration d’vn beau voyage, ou vn sage propos, quand il l’entendra. Qui au son du tabourin, qui arme la ieune ardeur de ses compagnons, se destourne à vn autre, qui l’appelle au ieu des batteleurs. Qui par souhait ne trouue plus plaisant et plus doux, reuenir poudreux et victorieux d’un combat, que de la paulme ou du bal, auec le prix de cet exercice : ie n’y trouue autre remède, sinon qu’on le mette pâtissier