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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/326

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estoit en la première et imberbe verdeur de son adolescence, et le plus beau des Grecs. Apres cette communauté générale, la maistresse et plus digne partie d’icelle, exerçant ses offices, et prédominant : ils disent, qu’il en prouenoit des fruicts tres-vtiles au priué et au public. Que c’estoit la force des pais, qui en receuoient l’vsage : et la principale défense de l’équité et de la liberté. Tesmoin les salutaires amours de Hermodius et d’Aristogiton. Pourtant la nomment ils sacrée et diuine, et n’est à leur compte, que la violence des tyrans, et lascheté des peuples, qui luy soit aduersaire : en fin, tout ce qu’on peut donner à la faueur de l’Académie, c’est dire, que c’estoit vn amour se terminant en amitié : chose qui ne se rapporte pas mal à la définition Stoique de l’amour : Amorem conatum esse amicitiæ faciendæ ex pulchritudinis specie.Ie reuien à ma description, de façon plus équitable et plus equable. Omnino amicitiæ, corroboratis iam confirmatisque et ingeniis, et ætatibus, iudicandæ sunt. Au demeurant, ce que nous appellons ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu’accoinctances et familiaritez nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos ames s’entretiennent. En l’amitié dequoy ie parle, elles se meslent et confondent l’vne en l’autre, d’vn meslange si vniuersel, qu’elles effacent, et ne retrouuent plus la cousture qui les a ioinctes. Si on me presse de dire pourquoy ie l’aymoys, ie sens que cela ne se peut exprimer, qu’en respondant : Par ce que c’estoit luy, par ce que c’estoit moy. Il y a au delà de tout mon discours, et de ce que l’en puis dire particulièrement, ie ne sçay quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette vnion. Nous nous cherchions auant que de nous estre veus, et par des rapports que nous oyïons l’vn de l’autre : qui faisoient en nostre affection plus d’effort, que ne porte la raison des rapports : ie croy par quelque ordonnance du ciel. Nous nous embrassions par noz noms. Et à nostre première rencontre, qui fut par hazard en vne grande feste et compagnie de ville, nous nous trouuasmes si prins, si cognus, si obligez entre nous, que rien des lors ne nous fut si proche, que l’vn à l’autre. Il escriuit vne Satyre Latine excellente, qui est publiée : par laquelle il excuse et explique la précipitation de nostre intelligence, si promptement paruenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard