Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/339

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tu n’es plus, j’ai dit adieu à l’étude et à toutes les choses de l’intelligence (Catulle). » — « Ne pourrai-je donc plus ni te parler, ni t’entendre ? Jamais je ne te verrai donc plus, ô frère, qui m’étais plus cher que la vie ! Ah ! du moins je t’aimerai toujours (Catulle) ! »

Mais écoutons parler ce garçon de seize ans.

Pourquoi Montaigne substitue au « Discours sur la servitude volontaire » de La Boétie qu’il avait dessein de transcrire ici, la pièce de vers du même auteur qu’il donne dans le chapitre suivant. — J’avais projeté de placer ici son « Discours sur la servitude volontaire » ; mais depuis, cet écrit a déjà vu le jour. Ceux qui l’ont publié, gens qui cherchent à troubler notre état politique actuel et à le modifier sans se demander s’ils l’amélioreront, l’ont fait dans une mauvaise intention, l’intercalant parmi d’autres émanant d’eux et conçus dans un mauvais esprit ; cela m’a amené à revenir sur mon intention première. Ne voulant pas toutefois laisser peser sur la mémoire de l’auteur une fâcheuse appréciation de la part de ceux qui n’ont pu juger de près ses opinions et ses actes, je les avertis que ce discours, qui a été composé par lui dans son enfance et simplement à titre d’exercice, porte sur un sujet fréquemment traité et que Ion retrouve répété en mille endroits dans les livres. Je ne mets pas en doute que La Boétie pensait ce qu’il écrivait, car il était trop consciencieux pour mentir, même en se jouant ; et je sais pertinemment qu’il eût préféré, ce que je comprends, être né à Venise qu’à Sarlat ; mais obéir et se soumettre très scrupuleusement aux lois sous lesquelles il vivait, était un autre principe qui, chez lui, primait tout. Il n’y eut jamais meilleur citoyen ; personne n’a été plus désireux de la tranquillité de son pays, ni plus ennemi des troubles et des idées nouvelles qui se produisirent en son temps ; il se fût bien plutôt appliqué de tout son pouvoir à les éteindre, qu’à fournir des aliments à leur extension ; son esprit était taillé sur le modèle de siècles autres que le nôtre. — En place de cet ouvrage sérieux, je vais en donner un autre de tout autre caractère, plus libre et plus enjoué, que l’on trouvera dans le chapitre suivant ; il a été fait à la même époque de sa vie.

CHAPITRE XXVIII.

Vingt-neuf sonnets d’Étienne de La Boétie.
À Madame de Grammont, comtesse de Guiche.

Madame, dans ce que je vous offre ici, rien n’est de moi ; parce que tout ce qui est de moi est déjà vôtre ; ou s’il ne l’est pas, n’est