Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/361

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je porte. Tout m’accable, rien ne me réconforte ; tout m’abandonne et d’elle je n’ai rien, sinon toujours quelque encouragement nouveau qui rend ma peine et ma douleur plus fortes. Ce que j’attends, c’est d’obtenir un jour quelques soupirs des gens de l’avenir. Pris de pitié, quelqu’un dira de moi : Sa dame et lui naquirent destinés à mourir tous deux aussi obstinés, l’une en sa rigueur, l’autre en son amitié.

XXV

Ma langueur m’a fait bien misérable, depuis que j’ai vu contre l’écueil de sa fière rigueur mon espérance se briser, avant que mes yeux ne soient clos ; et pourtant je suis encore en vie ! Que m’ont servi de si longues années d’attente ? De ma souffrance elle n’est pas assouvie, elle en rit ; et tenir mon mal sans cesse en éveil, est son seul désir. Pourquoi, malheureux en amour, ai-je toujours un cœur qui toujours renouvelle mon tourment ? Je suis hors d’haleine, je le sens, et prêt à laisser la vie sous le poids qui m’accable. Qu’y faire ? sinon ce que je fais : le mal s’est abattu sur moi, je m’obstine en la douleur qu’il me cause.

XXVI

Puisque telles sont mes dures destinées, autant que je le puis, je veux de plus en plus m’enivrer de mon infortune. Si je souffre, c’est qu’elle le veut bien ; les peines qu’elle m’ordonne, je les accomplirai. Nymphes des bois qui, étonnées de ma douleur, en avez, je crois, quelque pitié, qu’en pensez-vous ? Si à mes maux il n’est fait trêve, puis-je durer ainsi ? Si quelqu’une de vous pour Dieu condescend à m’entendre, qu’elle apprenne ce que maintenant j’entrevois : Le jour est proche où, déjà épuisées, mes forces ne pour-