Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/378

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n’a non plus d’accord auec nos terres neufues.Cet homme que Pauoy, estoit homme simple et grossier, qui est vne condition propre à rendre véritable tesmoignage. Car les fines gens remarquent bien plus curieusement, et plus de choses, mais ils les glosent : et pour l’aire valoir leur interprétation, et la persuader, ils ne se peuuent garder d’altérer vu peu l’Histoire : ils ne vous représentent iamais les choses pures ; ils les inclinent et masquent selon le visage qu’ils leur ont veu : et pour donner crédit à leur iugement, et vous y attirer, prestent volontiers de ce costé là à la matière, l’allongent et l’ampliflent. Ou il faut vn homme tres-fidelle, ou si simple, qu’il n’ait pas dequoy bastir et donner de la vraysemblance à des inuentions fauces ; et qui n’ait rien espousé. Le mien estoit tel : et outre cela il m’a faict voir à diuerses fois plusieurs mattelots et marchans, quil auoit cogneuz en ce voyage. Ainsi ie me contente de cette information, sans m’enquerir de ce que les Cosmographes en disent. Il nous faudroit des topographes, qui nous fissent narration particulière des endroits où ils ont esté. Mais pour auoir cet auantage sur nous, d’auoir veu la Palestine, ils veulent iouïr du priuilege de nous conter nouuelles de tout le demeurant du monde. Ie voudroye que chacun escriuist ce qu’il sçait, et autant qu’il en sçait : non en cela seulement, mais en tous autres subiects. Car tel peut auoir quelque particuliere science ou expérience de la nature d’vne riuiere, ou d’vne fontaine, qui ne sçait au reste, que ce que chacun sçait : il entreprendra toutesfois, pour faire courir ce petit loppin, d’escrire toute la Physique. De ce vice sourdent plusieurs grandes incommoditez.Or ie trouue, pour reuenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de saunage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté : sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de son vsage. Comme de vray nous n’auons autre mire de la vérité, et de la raison, que l’exemple et idée des opinions et vsances du pais où nous sommes. Là est tousiours la parfaicte religion, la parfaicte police, parfaict et accomply vsage de toutes choses. Ils sont saunages de mesmes que nous appellons sauuages les fruicts, que nature de soy et de son progrez ordinaire a produicts : là où à la vérité ce sont ceux que nous auons altérez par nostre artifice, et destournez de l’ordre commun, que nous deurions appeller plustost sauuages. En ceux là sont viues et vigoureuses, les vrayes, et plus vtiles et naturelles, vertus et proprietez ; lesquelles nous auons abbastardies en ceux-cy, les accommodant au plaisir de nostre goust corrompu. Et si pour-