Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/404

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vne si viue appréhension de la béatitude éternelle et céleste, qu’elle solicita son mary auec extrême instance, d’en faire autant pour elle. Et Dieu à leurs prières communes, l’ayant retirée à soy, bien tost après, ce fut vne mort embrassée auec singulier contentement commun.

CHAPITRE XXXIII.

La fortune se rencontre souuent au train de la raison.


L’inconstance du bransle diuers de la fortune, fait qu’elle nous doiue présenter toute espèce de visages. Y a il action de iustice plus expresse que celle cy ? Le Duc de Valentinois ayant résolu d’empoisonner Adrian Cardinal de Cornete, chez qui le Pape Alexandre sixiesme son père, et luy alloyent soupper au Vatican : enuoya deuant, quelque bouteille de vin empoisonné, et commanda au sommelier qu’il la gardast bien soigneusement : le Pape y estant arriué auant le fils, et ayant demandé à boire, ce sommelier, qui pensoit ce vin ne luy auoir esté recommandé que pour sa bonté, en seruit au Pape, et le Duc mesme y arriuant sur le point de la collation, et se fiant qu’on n’auroit pas touché à sa bouteille, en prit à son tour ; en manière que le Père en mourut soudain, et le fils après auoir esté longuement tourmenté de maladie, fut reserué à vn’autre pire fortune.Quelquefois il semble à point nommé qu’elle se ioüe à nous. Le Seigneur d’Estree, lors guidon de Monsieur de Vandosme, et le Seigneur de Liques, Lieutenant de la compagnie du Duc d’Ascot, estans tous deux seruiteurs de la sœur du Sieur de Foungueselles, quoi que de diuers partis (comme il adulent aux voisins de la frontière) le Sieur de Licques l’emporta : mais le mesme iour des nopces, et qui pis est, auant le coucher, le marié ayant enuie de rompre vn bois en faueur de sa nouuelle espouse, sortit à l’escarmouche près de S. Omer, où le Sieur d’Estree se trouuant le plus fort, le feit son prisonnier : et pour faire valoir son aduantage, encore fallut-il que la Damoiselle,