Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/508

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le plaisir de la monarchie du monde. À la première strette que luy donne la goutte, il a beau estre Sire et Majesté,

Totus et argento conflatus, totus et auro,

perd il pas le souuenir de ses palais et de ses grandeurs ? S’il est en colère, sa principauté le garde elle de rougir, de paslir, de grincer les dents comme vn fol ?Or si c’est vn habile homme et bien né, la royauté adiouste peu à son bon heur :

Si ventri bene, si lateri est, pedibusque tuis, nil
Diuitiæ poterunt regales addere maius :

il voit que ce n’est que biffe et piperie. Oui à l’aduenture il sera de l’aduis du Roy Seleucus, Que qui sçauroit le poix d’vn sceptre, ne daigneroit l’amasser quand il le trouueroit à terre : il le disoit pour les grandes et pénibles charges, qui touchent vn bon Roy. Certes ce n’est pas peu de chose que d’auoir à régler autruy, puis qu’à régler nous mesmes, il se présente tant de difficultez. Quant au commander, qui semble estre si doux ; considérant l’imbécillité du iugement humain, et la difficulté du chois es choses nouuelles et doubteuses, ie suis fort de cet aduis, qu’il est bien plus aisé et plus plaisant de suiure, que de guider : et que c’est vn grand seiour d’esprit de n’auoir à tenir qu’vne voye tracée, et à respondre que de soy :

Vt satiùs multo iam sit, parère quietum,
Quàm regere imperio res velle.

Ioint que Cyrus disoit, qu’il n’appartenoit de commander à homme, qui ne vaille mieux que ceux à qui il commande.Mais le Roy Hieron en Xenophon dict d’auantage, qu’à la iouyssance des voluptez mesmes, ils sont de pire condition que les priuez : d’autant que l’aysance et la facilité, leur oste l’aigredouce pointe que nous y trouuons.

Pinguis amor nimiûmque potens, in tædia nobis
Vertitur, et, stomacho dulcis vt esca, nocet.

Pensons nous que les enfans de cœur prennent grand plaisir à la musique ? La sacieté la leur rend plustost ennuyeuse. Les festins, les danses, les masquarades, les tournois reiouyssent ceux qui ne les voyent pas souuent, et qui ont désiré de les voir : mais à qui en faict ordinaire, le goust en deuient fade et mal plaisant : ny les dames ne chatouillent celuy qui en iouyt à cœur saoul. Qui ne se donne loisir d’auoir soif, ne sçauroit prendre plaisir à boire. Les farces des bateleurs nous res-iouissent, mais aux ioüeurs elles seruent de coruée. Et qu’il soit ainsi, ce sont délices aux Princes, c’est