Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/510

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leur feste, de se pouuoir quelque fois trauestir, et démettre à la façon de viure basse et populaire.

Plerumque gratæ principibus vices,
Mundæque paruo sub lare pauperum
Cœnæ, sine aulæis et ostro,
Solicitam explicuere frontem.

Il n’est rien si empeschant, si desgouté que l’abondance. Quel appétit ne se rebuteroit, à veoir trois cents femmes à sa merci, comme les a le grand Seigneur en son serrait ? Et quel appétit et visage de chasse, s’estoit reserué celuy de ses ancestres, qui n’alloit iamais aux champs, à moins de sept mille fauconniers ?Et outre cela, ie croy, que ce lustre de grandeur, apporte non légères incommoditez à la iouyssance des plaisirs plus doux : ils sont trop esclairez et trop en butte. Et ie ne sçay comment on requiert plus d’eux de cacher et couurir leur faute. Car ce qui est à nous indiscretion, à eux le peuple iuge que ce soit tyrannie, mespris, et desdain des loix. Et outre l’inclination au vice, il semble qu’ils y adioustent encore le plaisir de gourmander, et sousmettre à leurs pieds les obseruances publiques. De vray Platon en son Gorgias, définit tyran celuy qui a licence en vue cité d’y faire tout ce qui luy plaist. Et souuent à cette cause, la montre et publication de leur vice, blesse plus que le vice mesme. Chacun craint à estre espié et contrerollé : ils le sont iusques à leurs contenances et à leurs pensées ; tout le peuple estimant auoir droict et interest d’en iuger. Outre ce que les taches s’agrandissent selon l’eminence et clarté du lieu, où elles sont assises : et qu’vn seing et vne verrue au front, paroissent plus que ne faict ailleurs vne balafre. Voyla pourquoy les poètes feignent les amours de Iupiter conduites soubs autre visage que le sien : et de tant de practiques amoureuses qu’ils luy attribuent, il n’en est qu’vne seule, ce me semble, où il se trouue en sa grandeur et Maiesté.Mais reuenons à Hieron : il recite aussi combien il sent d’incommoditez en sa royauté, pour ne pouuoir aller et voyager en liberté, estant comme prisonnier dans les limites de son pais : et qu’en toutes ses actions il se trouue enueloppé d’vne facheuse presse. De vray, à voir les nostres tous seuls à table, assiégez de tant de parleurs et regardans inconnuz, l’en ay eu souuent plus de piété que d’enuie. Le Roy Alphonse disoit que les asnes estoycnt en cela de meilleure condition que les Roys : leurs maistres les laissent paistre à leur aise, là où les Roys ne peuuent pas obtenir cela de leurs seruiteurs. Et ne m’est iamais tombé en fantasie, que ce fust quelque notable commodité à la vie d’vn homme d’entendement, d’auoir vne vingtaine de contrerolleurs à sa chaise percée : ny que les seruices d’vn homme