Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/525

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blables accidents qui, pour lui, n’étaient pas un sujet de plus grande préoccupation que les incidents ordinaires de la vie.

Au combat naval qu’il remporta en Sicile sur Sextus Pompée, Auguste, au moment d’engager l’action, dormait si profondément, qu’il fallut que ses amis l’éveillassent pour qu’il donnât le signal du combat ; cela fut cause que, plus tard, M. Antoine lui reprocha de n’avoir pas eu seulement le cœur d’assister aux évolutions de ses vaisseaux et de n’avoir osé se montrer à ses soldats que lorsque Agrippa vint lui annoncer que la victoire était à lui. — Marius le jeune fit pis encore : le jour de son dernier effort contre Sylla, après avoir rangé son armée en bataille, donné le mot d’ordre et le signal de l’engagement, il se coucha à l’ombre, sous un arbre, pour se reposer, et s’endormit si complètement, qu’à peine fut-il réveillé quand ses gens, en fuite, vinrent à passer près de lui ; il n’avait rien vu du combat. On attribue le fait à la fatigue excessive produite par un excès de travail et le manque de sommeil, il était à bout de forces.

Le sommeil est-il nécessaire à la vie ? — Il appartient aux médecins de nous dire si le sommeil est nécessaire à l’homme au point que notre vie en dépende. À l’appui de cette assertion, nous trouvons bien qu’à Rome on fit mourir, en le privant de sommeil, Persée roi de Macédoine, qui se trouvait être prisonnier ; mais, d’autre part, Pline relate d’autres cas de personnes qui ont vécu longtemps sans dormir. Hérodote parle de peuples où l’on dort pendant la moitié de l’année et où l’on veille pendant l’autre moitié ; et les biographes d’Épiménide racontent que ce sage demeura endormi pendant cinquante-sept ans consécutifs.

CHAPITRE XLV.

Sur la bataille de Dreux.

Il importe peu que dans une action de guerre un chef ne fasse pas tout ce que commande le devoir ou la bravoure, pourvu qu’il obtienne la victoire. — La bataille que nous avons livrée à Dreux présente des particularités qui se voient rarement. Ceux qui ne sont pas favorables à M. de Guise, font volontiers ressortir qu’il n’est pas excusable d’avoir arrêté et ralenti la marche des forces qu’il commandait, pendant que l’ennemi accablait M. le Connétable qui était le chef de l’armée et enlevait l’artillerie, et qu’il eût mieux fait, pour éviter les pertes considérables qui en sont résultées, de prendre l’adversaire en flanc, plutôt que d’attendre qu’il fût possible de l’attaquer sur ses derrières. Outre ce que l’issue du combat témoigne à cet égard, celui qui examine la situa-