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TRADUCTION. — LIV. I, CH. III.

tempérament, également enclin à semblable retenue ; et, à moins que je n’y sois amené par nécessité ou par volupté, je n’expose guère, aux yeux de personne, les parties de mon corps ou les actes intimes que nos mœurs nous font une loi de dérober à la vue ; et je m’en fais une obligation plus grande, qu’à mon sens il ne convient à un homme, surtout à un homme de ma profession. L’empereur Maximilien en était arrivé à une telle exagération, qu’il ordonna expressément dans son testament, qu’on lui mît un caleçon quand il serait mort ; il eût dû ajouter aussi, par codicille, que celui qui le lui mettrait, le ferait les yeux bandés. — La volonté qu’exprima Cyrus à ses enfants, que ni eux, ni personne ne touchât à son corps après sa mort, vient, j’imagine, de quelque pratique de dévotion qui devait lui être propre ; et, ce qui me porte à le croire, c’est que son historien et lui-même, entre autres grandes qualités, ont manifesté dans tout le cours de leur vie, un soin et un respect tout particuliers pour la religion.

Nos funérailles doivent être en rapport avec notre situation, et n’être ni d’une pompe exagérée ni mesquines. — Le fait suivant ne me plaît guère ; il m’a été conté par un homme de haut rang et s’applique à une personne qui me touche de près, assez connue par les situations qu’elle a occupées pendant la paix comme durant la guerre. Cette personne, qui mourut à sa cour à un âge avancé, souffrant cruellement de la pierre, passa ses dernières heures, uniquement occupée à régler avec un soin exagéré la cérémonie de son enterrement, s’appliquant à ce qu’elle eût le plus de relief possible. Il demandait à toute la noblesse qui le visitait, d’engager sa parole d’assister à son convoi ; au prince lui-même, de qui je tiens le fait et qui le vit à ses derniers moments, il demanda avec instance d’y faire assister sa maison, citant des exemples, donnant des raisons pour prouver que cela était dû à un homme de sa condition ; et, en ayant obtenu la promesse et arrêté, selon ses idées, la distribution et l’ordre de cette parade, il sembla expirer satisfait. Je n’ai guère vu de vanité plus persistante.

S’ingénier à régler son service funèbre, soit d’une façon bizarre, soit avec une parcimonie peu ordinaire ; le réduire par exemple à un serviteur se bornant à porter une lanterne est une singularité inverse de la précédente, quoique sa proche parente, et dont aussi je trouverais aisément des exemples dans ma famille. Il en est cependant qui l’approuvent ; de même qu’ils approuvent la défense que fit Marcus Lepidus à ses héritiers, d’employer à son égard le cérémonial accoutumé en pareil cas. Si en agissant ainsi, on croit faire acte de tempérance et d’austérité, en évitant une dépense et une satisfaction dont nous ne serons plus à même d’être témoin ni de jouir, c’est là une réforme aisée et peu coûteuse. S’il me fallait décider sur ce point ; je serais d’avis que dans cette circonstance, comme dans toutes les actions de la vie, chacun doit se régler sur sa situation dans la société et que le philosophe Lycon fit acte de sagesse, quand il prescrivit à ses amis de l’enterrer là où ils trou-