Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/596

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dra tout vn iour : elles accusent le lieu d’où ie viens : les estroits baisers de la ieunesse, sauoureux, gloutons et gluans, s’y colloient autrefois, et s’y tenoient plusieurs heures après. Et si pourtant ie me trouue peu subiect aux maladies populaires, qui se chargent par la conuersation, et qui naissent de la contagion de l’air ; et me suis sauué de celles de mon temps, dequoy il y en a eu plusieurs sortes en nos villes, et en noz armées. On lit de Socrates, que n’estant iamais party d’Athènes pendant plusieurs recheutes de peste, qui la tourmentèrent tant de fois, luy seul ne s’en trouua iamais plus mal.Les médecins pourroient, ce crois-ie, tirer des odeurs, plus d’vsage qu’ils ne font : car i’ay souuent apperçeu qu’elles me changent, et agissent en mçs esprits, selon qu’elles sont. Qui me fait approuuer ce qu’on dit, que l’inuention des encens et parfuns aux Églises, si ancienne et espandue en toutes nations et religions, regarde à cela, de nous resiouir, esueiller et purifier le sens, pour nous rendre plus propres à la contemplation.Ie voudrois bien pour en iuger, auoir eu ma part de l’ouurage de ces cuisiniers, qui sçauent assaisonner les odeurs estrangeres, auec la saueur des viandes. Comme on remarqua singulièrement u seruice du Roy de Thunes, qui de nostre aage print terre à Naples, pour s’aboucher auec l’Empereur Charles. On farcissoit ses viandes de drogues odoriférantes, en telle somptuosité, qu’vn Paon, et deux Faisans, se trouuerent sur ses parties, reuenir à cent ducats, pour les apprester selon leur manière. Et quand on les despeçoit, non la salle seulement, mais toutes les chambres de son Palais, et les rues d’autour, estoient remplies d’vne tres-soüefue vapeur, qui ne s’esuanouissoit pas si soudain.Le principal soing que i’aye à me loger, c’est de fuir l’air puant et pesant. Ces belles villes, Venise et Paris, altèrent la faneur que ie leur porte, par l’aigre senteur, l’vne de son maraits, l’autre de sa boue.