Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/610

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

non comme arrestées et réglées par l’ordonnance céleste, incapable de double et d’altercation. Matière d’opinion, non matière de foy. Ce que ie discours selon moy, non ce que ie croy selon Dieu, d’vne façon laïque, non cléricale : mais tousiours tres-religieuse. Comme les enfants proposent leurs essays, instruisables, non instruisants. Et ne diroit-on pas aussi sans apparence, que l’ordonnance de ne s’entremettre que bien reseruément d’escrire de la Religion, à tous autres qu’à ceux qui en font expresse profession, n’auroit pas faute de quelque image d’vtilité et de iustice ; et à moy auec, peut estre de m’en taire. On m’a dict que ceux mesmes, qui ne sont pas des nostres, deffendent pourtant entre eux l’vsage du nom de Dieu, en leurs propos communs. Ils ne veulent pas qu’on s’en serue par vne manière d’interiection, ou d’exclamation, ny pour tesmoignage, ny pour comparaison : en quoy ie trouue qu’ils ont raison. Et en quelque manière que ce soit, que nous appelons Dieu à notre commerce et société, il faut que ce soit sérieusement, et religieusement.

Il y a, ce me semble, en Xenophon vn tel discours, où il montre que nous deuons plus rarement prier Dieu : d’autant qu’il n’est pas aisé, que nous puissions si souuent remettre nostre ame, en cette assiette réglée, reformée, et deuotieuse, où il faut qu’elle soit pour ce faire : autrement nos prières ne sont pas seulement vaines et inutiles, mais vitieuses. Pardonne nous, disons nous, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offencez. Que disons nous par là, sinon que nous luy offrons nostre ame exempte de vengeance et de rancune ? Toutesfois nous inuoquons Dieu et son ayde, au complot de noz fautes, et le conuions à l’iniustice.

Quæ, nisi seductis, nequeas committere diuis.

L’auaricieux le prie pour la conseruation vaine et superflue de ses thresors : l’ambitieux pour ses victoires, et conduite de sa fortune : le voleur l’employe à son ayde, pour franchir le hazard et les difficultez, qui s’opposent à l’exécution de ses meschantes entreprinses : ou le remercie de l’aisance qu’il a trouué à desgosiller vn passant. Au pied de la maison, qu’ils vont escheller ou petarder, ils font leurs prières, l’intention et l’espérance pleine de cruauté, de luxure, et d’auarice.

Hoc ipsum, quo tu Iouis aurem impellere tentas,
Dic agedum Staio : proh Iuppiter ! ô bone, clamet,
Iuppiter ! at sese non clamet Iuppiter ipse.