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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/666

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Conuiant ceux qui approuueroient son aduis, d’aller prendre vn bon souper, qu’on auoit dressé chez luy, où apres auoir fait bonne chere, ils boiroyent ensemble de ce qu’on luy presenteroit ; breuuage qui deliurera noz corps des tourments, noz ames des iniures, noz yeux et noz oreilles du sentiment de tant de villains maux, que les vaincus ont à souffrir des vainqueurs tres cruels et offencez. I’ay, disoit-il, mis ordre qu’il y aura personnes propres à nous ietter dans vn bucher au deuant de mon huis, quand nous serons expirez. Assez approuuerent cette haute resolution : peu l’imiterent. Vingt sept Senateurs le suiuirent : et apres auoir essayé d’estouffer dans le vin cette fascheuse pensée, finirent leur repas par ce mortel mets et s’entre-embrassans apres auoir en commun deploré le malheur de leur païs : les vns se retirerent en leurs maisons, les autres s’arresterent, pour estre enterrez dans le feu de Vibius auec luy et eurent tous la mort si longue, la vapeur du vin ayant occupé les veines, et retardant l’effect du poison, qu’aucuns furent à vne heure pres de veoir les ennemis dans Capoue, qui fut emportée le lendemain, et d’encourir les miseres qu’ils auoyent si cherement fuy.Taurea Jubellius, vn autre citoyen de là, le Consul Fuluius retournant de cette honteuse boucherie qu’il auoit faicte de deux cents vingtcinq Senateurs, le rappella fierement par son nom, et l’ayant arresté : Commande, fit-il, qu’on me massacre aussi apres tant d’autres, afin que tu te puisses vanter d’auoir tué vn beaucoup plus vaillant homme que toy. Fuluius le desdaignant, comme insensé aussi que sur l’heure il venoit de receuoir lettres de Rome contraires à l’inhumanité de son execution, qui luy lioient les mains : Iubellius continua : Puis que mon païs prins, mes amist morts, et ayant occis de ma main ma femme et mes enfants, pour les soustraire à la desolation de cette ruine, il m’est interdict de mourir de la mort de mes concitoyens empruntons de la vertu la vengeance de cette vie odieuse. Et tirant vn glaiue, qu’il auoit caché, s’en donna au trauers la poictrine, tumbant renuersé, mourant aux pieds du Consul.Alexandre assiegeoit vne ville aux Indes, ceux de dedans se trouuans pressez, se resolurent vigoureusement à le priuer du plaisir de cette victoire, et s’embraiserent vniuersellement tous, quand et leur ville, en despit de son humanité. Nouuelle guerre, les ennemis combattoient pour les sauuer, eux pour se perdre, et faisoient pour garentir leur mort, toutes les choses qu’on fait pour garentir sa vie.Astapa ville d’Espaigne se