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ESSAIS DE MONTAIGNE.

lement, et qu’ils musoient sur leurs seurtez, la ville de Casilinum fust saisie par surprinse. Et cela pourtant au siècle et des plus iustes Capitaines et de la plus parfaicte milice Romaine : car il n’est pas dict, qu’en temps et lieu il ne soit permis de nous preualoir de la sottise de noz ennemis, comme nous faisons de leur lascheté. Et certes la guerre a naturellement beaucoup de priuileges raisonnables au preiudice de la raison. Et icy faut la règle, neminem id agere, vt ex alterius prœdetur inscitia. Mais ie m’estonne de l’estendue que Xenophon leur donne, et par les propos, et par diuers exploicts de son parfaict Empereur : autheur de merueilleux poids en telles choses, comme grand Capitaine et Philosophe des premiers disciples de Socrates ; et ne consens pas à la mesure de sa dispense en tout et par tout.Monsieur d’Aubigny assiégeant Cappoüe, et après y auoir fait vne furieuse baterie, le Seigneur Fabrice Colonne, Capitaine de la ville, ayant commencé à parlementer de dessus vn bastion, et ses gens faisants plus molle garde, les nostres s’en emparèrent, et mirent tout en pièces. Et de plus fresche mémoire à Yuoy, le Seigneur Iulian Rommero, ayant fait ce pas de clerc de sortir pour parlementer auec Monsieur le Connestable, trouua au retour sa place saisie. Mais afin que nous ne nous en allions pas sans reuanche, le Marquis de Pesquaire assiégeant Gènes, où le Duc Octauian Fregose commandoit soubs nostre protection, et l’accord entre eux ayant esté poussé si auant, qu’on le tenoit pour fait, sur le point de la conclusion, les Espaignols s’estans coullés dedans, en vserent comme en vne victoire planiere : et depuis à Ligny en Barrois, où le Comte de Brienne commandoit, l’Empereur l’ayant assiégé en personne, et Bertheuille Lieutenant dudict Comte estant sorty pour parlementer, pendant le parlement la ville se trouue saisie.

Fù il vincer sempre mai laudabil cosa,
Vinca si ô per fortuna ô per ingegno,


disent-ils : mais le Philosophe Chrysippus n’eust pas esté de cet aduis : et moy aussi peu. Car il disoit que ceux qui courent à l’enuy, doiuent bien employer toutes leurs forces à la vistesse, mais il ne leur est pourtant aucunement loisible de mettre la main sur leur aduersaire pour l’arrester : ny de luy tendre la iambe, pour le faire cheoir. Et plus généreusement encore ce grand Alexandre, à Polypercon, qui luy suadoit de se seruir de l’auantage que l’obscurité de la nuict luy donnoit pour assaillir Darius : Point, dit-il, ce